Tatouages traditionnels sur le visage et les mains, Seqininnguaq Lynge Poulsen affiche sa fierté d'être inuite. A 19 ans, elle est un des visages d'une jeunesse groenlandaise en quête d'une renaissance culturelle, préalable selon elle à l'indépendance de l'immense île arctique.
Au Groenland, territoire autonome danois où se déroulent des élections législatives anticipées mardi, près de 40% des quelque 56'000 habitants a moins de 25 ans.
Une jeunesse confrontée de longue date à de douloureux problèmes sociaux – abus sexuels, violences, suicides, alcoolisme – mais aussi à une perte d'identité, sur fond de modernisation à marche forcée des communautés traditionnelles, pendant et après la colonisation danoise, officiellement achevée en 1953.
Seqininnguaq – «joli soleil» en groenlandais – représente sa nation dans différentes instances internationales. Elle est devenue l'une des incarnations de ce que les chercheurs appellent un «renouveau» inuit.
«On assiste à un renouveau culturel sur fond des problèmes posés par le changement climatique (...) La philosophie, les valeurs de vie de la culture indigène deviennent très populaires», atteste Peter Berliner, professeur de sciences sociales à l'Université du Groenland et expert de la jeunesse locale.
Ses tatouages, qui avant la colonisation célébraient notamment les différentes étapes de la vie, Seqininnguaq les porte depuis plus d'un an, en signe de reconnaissance envers sa culture et ses ancêtres. «Je voulais montrer au reste du monde à quel point je suis fière d'être inuite», explique à l'AFP cette résidente de Nuuk, la petite capitale groenlandaise de 18'000 habitants.
Pour «décoloniser»
«Je pense qu'on doit s'émanciper pour être mentalement prêts à l'indépendance. L'état d'esprit doit changer», estime-t-elle.
Pour la jeune femme, il faut «décoloniser» le système, c'est-à-dire «l'adapter à notre manière de faire et de penser. C'est particulièrement vrai pour le système scolaire, qui est beaucoup trop occidental». Actuellement, un Groenlandais sur deux seulement a dépassé le collège.
Dans la campagne électorale, «le système éducatif devrait être le sujet de discussion numéro 1. Il n'est pas du tout adapté», abonde Morten Boller.
A 21 ans, cet habitant de Kangerlussuaq (ouest) vient de finir le lycée et va commencer une formation à Nuuk pour travailler dans un aéroport, à l'heure où le Groenland renforce ses infrastructures aéroportuaires pour attirer touristes et investisseurs.
Comme lui, les jeunes voulant poursuivre des études doivent presque forcément quitter leur village, souvent pour le Danemark.
«Nous n'avons pas assez de personnes diplômées ici et c'est pour cela aussi que cette mentalité de victime/aidant avec le Danemark perdure», avance Seqininnguaq, qui envisage elle aussi d'étudier à l'étranger, mais pour revenir ensuite au Groenland.
Abus dans les foyers pauvres
Pour l'économiste Birger Poppel, le système éducatif doit non seulement être «revitalisé» mais aussi mieux prendre en compte «l'apprentissage des enfants traumatisés par des abus et de la négligence». Au Groenland, plus d'une personne sur trois a été victime d'abus sexuels, majoritairement pendant l'enfance.
Très souvent liés à la consommation d'alcool et de drogues, ces violences tendent à diminuer depuis un programme lancé en 2018 par les autorités locales avec le soutien de Copenhague.
Mais ils restent trop fréquents dans les foyers les plus pauvres, majoritairement en province dans des régions parfois difficilement accessibles, souligne Peter Berliner. «L'écart entre riches et pauvres est au même niveau qu'aux Etats-Unis, bien loin de celui des pays nordiques», note l'expert.
Nombreux suicides
L'île affiche également un des taux de suicides parmi les plus élevés du monde, un pour mille habitants en moyenne chaque année, dont de nombreux jeunes, selon un rapport du Nordic Welfare Center.
«A cause de la modernisation, beaucoup de Groenlandais se sont perdus, de petits villages et hameaux ont été fermés. Les gens ont dû quitter leurs maisons, travailler pour de nouvelles industries et ont de moins en moins été des chasseurs ou cueilleurs», résume la politologue groenlandaise Nauja Bianco.
Pour elle, l'enthousiasme de la jeunesse sur le rôle de l'héritage colonial est très positif: «Les jeunes sont plus désireux et ouverts pour discuter et enquêter sur l'impact de la colonisation danoise».
Morten, lui, est plus sceptique: «Les gens qui se plaignent de l'oppression danoise me fatiguent. Je comprends en partie, mais ils ne voient pas les avantages que le Danemark nous apporte, prenez le vaccin anti-corona, ils nous le donnent gratuitement».