Durcissement sur les renvois des migrants irréguliers, contrôles accrus aux frontières extérieures, accélération des procédures: Bruxelles a dévoilé mercredi une réforme de l'asile accusée de céder aux pays les plus hostiles à l'accueil des réfugiés.
La présidente de la Commission Ursula von der Leyen a défendu un équilibre «juste et raisonnable» entre «responsabilité et solidarité» entre les 27. «Nous devons trouver des solutions pérennes sur la migration», a-t-elle plaidé, soulignant que l'incendie du camp de Moria était «un rappel brutal».
Cinq ans après la crise de 2015, ce nouveau «Pacte européen sur la migration et l'asile» prévoit que les pays de l'UE qui ne veulent pas prendre des demandeurs d'asile en cas d'afflux devront en revanche participer au renvoi des déboutés du droit d'asile depuis le pays européen où ils sont arrivés vers leur Etat d'origine.
Une façon de contourner le refus persistant de plusieurs pays, notamment ceux du groupe de Visegrad (Pologne, Hongrie, République tchèque, Slovaquie) d'accueillir des migrants.
Bruxelles tire les leçons de l'échec des quotas de relocalisation décidés après 2015: le principe d'une répartition contraignante des migrants est donc abandonné. «Ca ne marche pas», a réaffirmé mardi le chancelier autrichien Sebastian Kurz.
Très attendu et plusieurs fois repoussé, ce pacte prévoit de «rigoureux contrôles» aux frontières extérieures, de manière à écarter plus rapidement les migrants jugés peu susceptibles d'obtenir une protection internationale, a affirmé le vice-président de la Commission Margaritis Schinas. Pour eux, la demande d'asile sera traitée à la frontière dans un délai de 12 semaines.
Fin de Dublin?
Surtout, le pacte révise le principe consistant à confier au premier pays d'entrée d'un migrant dans l'UE la responsabilité de traiter sa demande d'asile.
Ce «règlement Dublin», pilier actuel du système d'asile européen, n'a cessé d'alimenter les tensions entre les 27, en raison de la charge qu'il fait porter aux pays géographiquement en première ligne comme la Grèce et l'Italie.
Selon la proposition de la Commission, le pays responsable de la demande pourra être celui où un migrant a des liens familiaux, où il a travaillé ou étudié, ou alors le pays lui ayant délivré un visa. Sinon, les pays de première arrivée resteront chargés de la demande.
Si un Etat est soumis à une «pression» migratoire et estime ne pas pouvoir assumer la prise en charge des migrants, il pourra demander l'activation d'un «mécanisme de solidarité obligatoire».
Tous les Etats seront mis à contribution, en fonction de leur poids économique et de leur population, explique la commissaire européenne aux Affaires intérieures, Ylva Johansson. Mais ils ont le choix entre accueillir des demandeurs d'asile, «parrainer» le renvoi dans son pays d'un migrant ou aider à la construction de centres d'accueil.
En cas de «crise» similaire à celle de 2015, lorsque plus d'un million de réfugiés avaient pris l'Europe de court, un Etat devra prendre en charge la relocalisation des réfugiés ou le renvoi des migrants déboutés. Et s'il échoue à renvoyer des migrants dans leur pays d'origine dans les huit mois, il doit les accueillir.
Des alternatives jugées irréalisables pour les petits pays, qui n'en ont pas les moyens, a fait valoir une source européenne.
Afin d'augmenter et de rendre «plus efficaces» les retours de migrants, la Commission va nommer un coordinateur et «intensifier les négociations» avec les Etats d'origine ou de transit, a indiqué Mme Johansson. L'UE a actuellement 24 accords de réadmission avec des pays tiers, mais «tous ne marchent pas», observe-t-elle. Seulement un tiers des migrants déboutés quittent effectivement l'EU.
«Honte institutionnalisée»
La situation est très différente de 2015, le nombre d'arrivées irrégulières dans l'UE ayant chuté en 2019 à 140'000. Et si en 2015, 90% des migrants ont eu le statut de réfugié, aujourd'hui les deux tiers n'ont pas droit à une protection internationale.
Alors que le bateau Alan Kurdi de l'ONG Sea-Eye, avec 133 migrants à bord, faisait route mercredi vers Marseille, un mécanisme de solidarité est aussi prévu concernant les sauvetages en mer par le nouveau pacte, qui propose de mettre à l'abri des poursuites judiciaires les ONG sauvant des migrants en mer.
Les critiques n'ont pas tardé: la Commission «rapièce un ensemble sans véritable patron, sans structure, sans ossature», indique à l'AFP le spécialiste des questions migratoires Yves Pascouau.
«C'est un compromis entre la lâcheté et la xénophobie», fustige le chercheur belge François Gemenne, dénonçant «la même logique d'Europe forteresse», tandis que l''ONG Oxfam accuse la Commission de «s'incliner devant les gouvernements anti-immigration».
«Ce nouveau pacte institutionnalise la honte. Il n'empêchera ni les nouveaux drames, ni le maintien de camps indignes (...) La Commission s'est couchée devant Orban et consorts», abonde l'eurodéputé Damien Carême (Verts).
L'eurodéputée Nathalie Colin-Oesterlé (PPE, droite), elle, s'inquiète de l'absence d'«un système permettant d'étudier les demandes d'asiles en amont de l'arrivée dans l'UE». Quant aux procédures expresses aux frontières, elles alarment l'ONG Caritas Europa, qui redoute «une dilution des garanties juridiques (des migrants) et des détentions accrues».