UltradroiteCe fléau qui gangrène la France, mais aussi la Suisse
Gregoire Galley
24.1.2024
Après la mort d’un adolescent de 16 ans en novembre dernier en France, plusieurs mouvements d’ultradroite ont effectué des démonstrations de force qui ont fait ressurgir de vieux démons à travers tout le pays. Dans une moindre mesure, la Suisse est aussi touchée par leurs actes. Ancien directeur de l’Institut d’études politiques de Bordeaux, professeur de science politique, Yves Déloye dissèque ces groupuscules extrémistes pour blue News.
Gregoire Galley
24.01.2024, 07:48
24.01.2024, 10:00
Gregoire Galley
Quelle est l’origine du terme ultradroite ?
«Cette notion est surtout utilisée par les journalistes afin de distinguer ce qui relève d’une extrême-droite traditionnelle et d’une extrême-droite plus radicalisée qui n’hésite pas à recourir à la violence dans ses agissements. Il faut également savoir que ce concept n’est pas nouveau. A titre d’exemple, des mouvements d’ultradroite existaient déjà pendant la guerre d’Algérie.»
«A l’époque, ils avaient fait parler d’eux à travers des actes terroristes afin de remettre en cause les accords d'Évian et les processus de décolonisation qui étaient en cours dans ce pays. Plus récemment, les groupes de militants qui ont investi le Capitole pour remettre en cause la victoire de Joe Biden en janvier 2020 ont adopté un comportement typique d’ultradroite.»
Quelles sont les différences entre l’ultradroite et l’extrême-droite ?
«Au contraire de l’ultradroite, l’extrême-droite participe au jeu démocratique tout en proscrivant très largement le recours à la violence. En revanche, l’ultradroite ne joue pas forcément le jeu de la démocratie électorale, usant davantage d’un répertoire d’action non-conventionnelle et souvent violente. Cela peut se traduire par des manifestations souvent propices à des actes de violence contre les biens et les personnes voire des actes terroristes encore plus brutaux.»
«Ces groupes extrémistes recrutent de plus en plus de gens relativement âgés»
Yves Déloye
Ancien directeur de l’Institut d’études politiques de Bordeaux
Quel est le profil social des personnes qui intègrent ces mouvements ?
«Il y a relativement peu de travaux empiriques qui se sont intéressés au militantisme dans l’ultradroite. Cependant, deux éléments principaux peuvent être mis en lumière. Premièrement, ce sont principalement des hommes qui intègrent ces groupes extrémistes.»
«En outre, on remarque que ces derniers recrutent de plus en plus de gens relativement âgés. Ces individus pouvaient être des anciens militaires ou encore des personnes ayant des positions sociales élevées tels que des ingénieurs par exemple.»
Quelles sont leurs principales revendications ?
«Les membres de ces mouvements estiment que l’identité française est en train de disparaître peu à peu. Pour sauver cette «civilisation» en déclin, ils considèrent donc qu’il faut utiliser la violence en raison de l'urgence à agir et de l'impossibilités d'adopter une attitude réformiste face au déclin dénoncé. En résumé, ils ne se reconnaissent pas dans une France moderne, ouverte et marquée par de nombreux phénomènes de multiculturalisme.»
Les réseaux sociaux jouent-ils un rôle clé dans leur organisation ? Comment ces groupes opèrent-ils ?
«Les réseaux sociaux sont évidemment un élément tout à fait déterminant dans leur mode opératoire, autant du point de vue de leur propagande que de leur capacité à mobiliser dans le but de réaliser une action choc et de contourner ainsi la surveillance physique dont ils peuvent faire l'objet. De plus, le développement des réseaux sociaux a aussi fortement contribué à la multiplication de ces mouvements. Il faut savoir également qu’ils ne sont pas hyper-structurés et souvent éphémères.»
«En ce qui concerne leur manière d’agir, ils usent de divers éléments. Ils peuvent organiser des manifestations cagoulées dans l’espace public ou même faire des ratonnades (ndlr : brutalités commises contre un groupe ethnique ou social). De ce fait, ils ont un rapport à la violence qui est central dans leur répertoire d’action même si parfois ils agissent de façon plus modérée afin d’exprimer leur colère. Cependant, cela reste plutôt rare.»
Que pensez-vous des propos de Marion Maréchal qui dit que «la menace de l’ultradroite n’existe pas» ?
«En prononçant ces paroles, Marion Maréchal a la volonté de se positionner à la droite du Rassemblement National avec son parti Reconquête !. Pour cela, elle n’hésite pas à normaliser certains groupes d’ultradroite. Elle se montre d’ailleurs très accueillante à l’égard de certains «cadres» de ces mouvements en reprenant des thématiques qui leur sont chères. Dans ce sens, elle a intérêt à dire que la menace de l'ultradroite n'existe pas, parce que d'une certaine manière, la menace de l'ultradroite, c'est elle aussi.»
Quels sont les moyens dont dispose l'État pour neutraliser ces mouvements extrémistes ?
«Depuis plusieurs années, il y a un renforcement des dispositifs de régulation de ces groupes. Ces mesures facilitent leur dissolution ce qui les oblige à se reformer d’une manière différente. Malgré tout, cela n’interdit pas leur recomposition. L’État peut aussi surveiller ces mouvements sur les réseaux sociaux par exemple.»
«Cependant, ces moyens ne permettent pas de mettre complètement hors de nuire ces mouvements car ils sont certainement insuffisants. Pour preuve, ces groupes continuent à exister et même à se développer davantage.»
La Suisse également touchée
La Suisse n’est pas épargnée par les actions des mouvements d’ultradroite. A titre d’exemple, un groupuscule de droite radicale, dénommé Junge Tat, avait revendiqué en novembre 2022 à visage découvert une action contre la communauté LGBT à Zurich. Et ce cas n’est de loin pas isolé dans notre pays. «En Suisse, il y a premièrement un manque de sensibilité par rapport à l’extrémisme de droite. Deuxièmement, il y a une sorte de déni de l’histoire de l’extrémisme de droite», s’alarmait au moment de ces faits le professeur d’histoire contemporaine de l’Université de Fribourg Damir Skenderovic dans les colonnes de la «RTS». Ces groupes sont également liés à d’autres mouvements qui agissent en France ou en Allemagne. «La région Rhône-Alpes est une terre favorable pour leur développement. Il y a donc certainement une connexion entre ces groupes et ceux qui opèrent en Suisse», précise encore Yves Déloye, ancien directeur de l’Institut d’études politiques de Bordeaux.