Nouveau putsch en vue ? Ce que l'on sait de la crise politique en Thaïlande

Alix Maillefer

19.6.2025

La Première ministre thaïlandaise Paetongtarn Shinawatra se trouve jeudi sur un siège éjectable, le royaume traversant une nouvelle crise politique dans un contexte de tensions à la frontière avec le Cambodge.

La Première ministre thaïlandaise Paetongtarn Shinawatra est accusée par l'opposition d'être une marionnette aux mains de son père, l'ex-Premier ministre milliardaire Thaksin Shinawatra.
La Première ministre thaïlandaise Paetongtarn Shinawatra est accusée par l'opposition d'être une marionnette aux mains de son père, l'ex-Premier ministre milliardaire Thaksin Shinawatra.
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La coalition majoritaire dominée par le parti Pheu Thai ne dispose plus que d'une poignée de députés de plus que l'opposition, depuis le départ, mercredi soir, de son deuxième groupe le plus important, Bhumjaithai.

Cette formation conservatrice a critiqué l'attitude de la Première ministre Paetongtarn Shinawatra dans un appel avec l'ancien Premier ministre cambodgien Hun Sen, qui a fuité, l'accusant d'avoir été trop révérencieuse.

L'alliance au pouvoir est composée d'une dizaine de partis hétéroclites, dont certains étaient rivaux lors de la précédente législature, ce qui laisse planer le risque d'un délitement au cours de cette crise, la plus grave depuis l'accession au pouvoir de Paetongtarn, en août 2024.

La cheffe du gouvernement a présenté jeudi ses excuses lors d'une conférence de presse, debout au côté de responsables militaires, et promis d'être plus prudente dans ses négociations avec le Cambodge.

Un appel polémique

C'est donc la fuite d'un appel de 17 minutes entre Paetongtarn Shinawatra et Hun Sen qui a mis le feu aux poudres.

Les deux dirigeants se sont parlé dimanche au sujet des tensions à la frontière, un différend territorial vieux de plusieurs décennies, ravivé dernièrement par la mort d'un soldat cambodgien à la suite d'un échange de coups de feu.

Un premier enregistrement, partiel, a circulé mercredi matin, jusqu'à ce que Hun Sen le diffuse en entier dans l'après-midi.

Hun Sen a dirigé le Cambodge d'une main de fer durant environ 40 ans avant de se retirer au profit de son fils, Hun Manet, en 2023. Actuellement président du Sénat, il conserve une influence considérable sur le destin de son pays.

Lors de leurs échanges, Paetongtarn, 38 ans, appelle son interlocuteur de 72 ans, considéré comme un proche des Shinawatra, «oncle», une marque de politesse courante en Thaïlande et au Cambodge, mais jugée trop familière ou révérencieuse dans ce contexte.

Elle a aussi assimilé un général chargé de surveiller une partie de la frontière à un «opposant», un affront jugé irresponsable dans les milieux nationalistes, alignés avec l'armée et le roi.

Depuis la fin de la monarchie absolue en 1932, la Thaïlande a connu une douzaine de coups d'Etat réussis, qui ont cimenté la place des militaires au cœur de la vie politique.

Bien que Paetongtarn se soit défendue d'avoir critiqué l'armée, des rumeurs d'un nouveau putsch ont inévitablement circulé. Son père, Thaksin, et sa tante, Yingluck, ont tous les deux été délogés du pouvoir par des putschs, respectivement en 2006 et 2014.

L'armée a réaffirmé jeudi son respect des «principes démocratiques», le chef de l'état-major Pana Claewplodtook se disant prêt à «protéger la souveraineté nationale à travers les structures légales et les mécanismes institutionnels».

Des tensions latentes

Ces derniers mois, le gouvernement thaïlandais a affronté une pression de plus en plus forte, à la fois sur le plan international et national.

Les Etats-Unis menacent d'imposer une surtaxe de 36% sur les produits importés de Thaïlande, maintenant une épée de Damoclès au-dessus d'une économie atone, qui affiche une croissance inférieure à ses voisins d'Asie du Sud-Est.

Alors que le Vietnam affirme s'approcher d'un accord avec Washington, Bangkok vient à peine de finaliser ses propositions, qui doivent être soumises cette semaine.

Intronisée en août 2024, sans aucune expérience politique, Paetongtarn, 38 ans, a été critiquée pour son manque d'expérience à la tête d'un gouvernement à l'équilibre précaire.

Avant de claquer la porte, le leader de Bhumjaithai, Anutin Charnvirakul, était à couteaux tirés avec la Première ministre qui voulait lui retirer son poste de ministre de l'Intérieur.

Ces frictions s'inscrivent dans celles au long cours qui divisent la Thaïlande depuis plus de vingt ans, entre la famille Shinawatra et l'élite conservatrice alignée avec l'armée et le roi.

Plus particulièrement, la figure de Thaksin Shinawatra polarise l'opinion: ce milliardaire charismatique a dirigé le pays de 2001 à 2006, non sans échapper aux accusations de corruption et de populisme.

Depuis son retour en Thaïlande en 2023, après 15 ans d'exil pour échapper à la justice, il continue de s'exprimer en public sur la politique, sans trop d'égard pour les conservateurs, qui le soupçonnent de tirer les ficelles en coulisses.

Une suite incertaine

Deux partis clés de la coalition se rencontrent jeudi pour discuter de la crise. Si l'un ou les deux décident de se retirer, le gouvernement ne disposera plus de majorité au Parlement.

La Première ministre pourra alors dissoudre le Parlement, pour provoquer des élections anticipées qui devront se tenir sous 60 jours.

Elle peut aussi présenter sa démission, et laisser les autres partis sceller une alliance qui puisse soutenir un nouveau gouvernement. Mais un alignement semble difficile à trouver dans le contexte actuel.

En dernier recours, plane l'ombre d'une intervention de l'armée, comme la Thaïlande en a connu régulièrement dans son histoire moderne.