Vers un choc pétrolier? Ce qu'il faut savoir sur l'attaque de la raffinerie saoudienne

De Philipp Dahm

17.9.2019

Pourtant lourdement armée, l’Arabie saoudite a perdu la moitié de sa capacité de raffinage à la suite d’une attaque de dix drones bon marché: voici les réponses aux principales questions portant sur les attaques contre le géant du pétrole Saudi Aramco.

Que s’est-il passé?

Dans la nuit de vendredi à samedi, des raffineries du géant du pétrole Saudi Aramco ont été attaquées. Une dizaine de drones ont frappé Abqaïq, la plus grande raffinerie du monde – d’une superficie de 250 hectares, soit environ 350 terrains de football. Le deuxième plus grand gisement de pétrole d’Arabie saoudite, Khurais, a également été incendié.

L’attaque de drones aurait commencé vendredi soir à 23h, heure suisse. Personne n’aurait été blessé. Les attaques pourraient être le résultat du conflit qui sévit désormais depuis quatre ans au Yémen. Une alliance dirigée par l’Arabie saoudite tente de maintenir le président sunnite Abd Rabbo Mansour Hadi au pouvoir au Yémen alors que les rebelles chiites houthis veulent le renverser.

Sur le champ de bataille, Riyad est épaulé par des Etats sous régime sunnite tels que Bahreïn, le Koweït et les Emirats arabes unis, soutenus par les Etats-Unis. Rival de longue date de Riyad pour la suprématie régionale, l’Iran se range en revanche du côté des rebelles chiites.

Quelles ont été les réactions à l’attaque?

Les rebelles houthis ont revendiqué les attaques de drones et les ont liées au conflit persistant avec Riyad. Dès samedi, le secrétaire d’Etat américain Mike Pompeo a signalé qu’aucune preuve ne venait appuyer la thèse selon laquelle les drones avaient décollé du Yémen. Selon Mike Pompeo, les dirigeants iraniens prétendent une fois de plus vouloir résoudre les conflits par la voie diplomatique, mais sont en réalité responsables de «près de 100 attaques contre l’Arabie saoudite».

L’Iran a catégoriquement rejeté l’allégation de Mike Pompeo. Abbas Mousavi, porte-parole du ministère des Affaires étrangères, a dénoncé des déclarations invraisemblables et laissé entendre que les Américains poursuivaient «des objectifs très différents». Le président américain Donald Trump a pour sa part laissé entendre sur Twitter que la Maison-Blanche savait très bien qui était derrière l’attaque. L’armée américaine est donc selon lui «prête à riposter»: il a juste besoin d’une confirmation avant d’exercer ses représailles, a-t-il annoncé.

Quels sont les effets de l’attaque sur le plan économique?

Les attentats ont gravement affecté l’industrie pétrolière en Arabie saoudite. Selon l’Agence de presse saoudienne (SPA), le volume de production est temporairement réduit de moitié, ce qui correspond à un défaut d’approvisionnement de 5,7 millions de barils, soit la consommation quotidienne des Etats-Unis.

Les prix du pétrole ont augmenté d’environ 20% ce lundi: un baril (159 litres) de pétrole brut de la mer du Nord (Brent) coûtait 66,54 dollars, soit 6,32 dollars de plus que vendredi. Donald Trump a annoncé son intention de mettre sur le marché des réserves de pétrole américaines afin d’atténuer la hausse des prix du pétrole. Les experts estiment tout de même que le prix du baril pourrait grimper jusqu’à 75 dollars.

Récemment, le prix du pétrole a diminué en raison de l’affaiblissement de l’économie mondiale. La hausse actuelle des prix profite non seulement aux Etats-Unis, qui ont pris la place de premier producteur de pétrole brut à l’Arabie saoudite, mais aussi à Riyad même – ainsi qu’à l’Iran, qui tire environ 80% de ses recettes de l’exportation de pétrole malgré les sanctions.

Est-ce que cela a aussi des conséquences pour la Suisse?

Sur le plan quantitatif, la Suisse n’est pas dépendante du pétrole provenant d’Arabie saoudite, affirme Roland Bilang, directeur d’Avenergy Suisse, interrogé par le «Tagesanzeiger».

Pour des raisons de qualité, la Suisse utilise principalement des huiles minérales légères et à faible teneur en soufre. Les principaux importateurs fournissant les raffineries locales sont le Kazakhstan et le Nigeria. Une petite quantité est apportée par la Libye.

L’effet de la défaillance pétrolière survenue en Arabie saoudite sur les automobilistes suisses ne se fera sentir que si l’interruption des capacités de production est prolongée – mais Riyad a déjà annoncé son intention de remédier aux dégâts aussi vite que possible.

Qu’est-ce qui parle en faveur et en défaveur d’un soutien iranien?

Ce ne serait pas la première fois que les rebelles houthis utilisent des drones dans la guerre contre l’Arabie saoudite: un oléoduc a été attaqué en mai tandis que début août, l’aéroport de la ville saoudienne d’Abha a également été ciblé.

Contrairement au groupe terroriste Etat islamique, par exemple, qui a déployé des drones usuels en Syrie et en Irak, les Houthis ont principalement utilisé des drones de type Qasef-1 – qui seraient produits en Iran.

Localisation d’Abqaïq.
Localisation d’Abqaïq.
Google Maps

D’une envergure d’environ trois mètres, ce modèle peut transporter une charge explosive de 30 à 45 kg. Sa portée est d’environ 150 km. Les experts estiment que les nouveaux drones iraniens pourraient atteindre une portée de 1000 km.

Khurais se trouve non loin d’Abqaïq – contrairement à la frontière yéménite.
Khurais se trouve non loin d’Abqaïq – contrairement à la frontière yéménite.
Google Maps

Une telle portée serait nécessaire pour que les drones atteignent Abqaïq et Khurais depuis le Yémen. Le Pentagone estime en revanche que les drones ont pu s’approcher en restant inaperçus uniquement parce que les engins ne venaient pas du sud, mais du nord-ouest, c’est-à-dire de l’Iran.

Comment la situation pourrait-elle évoluer?

Samedi encore, Donald Trump a apporté par téléphone son soutien total au prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane – le tweet susmentionné laisse entendre que la Maison-Blanche n’attend plus que le feu vert de Riyad pour manœuvrer contre l’Iran. Si cela venait à se produire, les Etats-Unis auraient probablement la production de pétrole iranienne dans le viseur – pour que Téhéran ne profite pas de la hausse des prix du pétrole brut.

On peut se demander si l’Iran sera en mesure de se défendre contre les frappes de bombardiers F-35 américains. Mais de petites piques seraient tout à fait possibles. Le régime a également averti Washington qu’en cas d’attaque, il attaquerait toute base ou unité navale américaine à la portée des missiles iraniens dans un rayon de 2000 kilomètres.

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