Chemin difficile Ce qui attend Taïwan après l'élection

ATS

14.1.2024 - 11:55

Lai Ching-te a certes remporté l'élection présidentielle à Taïwan, mais le chemin qui l'attend ne sera pas simple, face à une Chine de plus en plus revendicative. Elle devrait accroître sa pression militaire et ses sanctions économiques.

Des partisans du Kuomintang (KMT) réagissent après que leur candidat à la présidence Hou Yu-ih a reconnu sa défaite à New Taipei City, Taiwan, samedi 13 janvier 2024. Dans son discours de défaite, Hou s'est excusé de «ne pas avoir travaillé assez dur» pour reconquérir le pouvoir pour le KMT, qui a dirigé Taïwan sous la loi martiale pendant près de quatre décennies avant les réformes démocratiques des années 1980. (AP Photo/Ng Han Guan)
Des partisans du Kuomintang (KMT) réagissent après que leur candidat à la présidence Hou Yu-ih a reconnu sa défaite à New Taipei City, Taiwan, samedi 13 janvier 2024. Dans son discours de défaite, Hou s'est excusé de «ne pas avoir travaillé assez dur» pour reconquérir le pouvoir pour le KMT, qui a dirigé Taïwan sous la loi martiale pendant près de quatre décennies avant les réformes démocratiques des années 1980. (AP Photo/Ng Han Guan)
KEYSTONE

Dans la campagne, Pékin avait averti les Taïwanais de faire le «bon choix», qualifiant Lai Ching-te de «grave danger» qui risquerait de suivre «la voie néfaste» de l'indépendance. Peine perdue: la population a voté à plus de 40% pour le vice-président sortant et sa colistière Hsiao Bi-khim, ancienne représentante de Taipei à Washington.

Désormais, «Pékin doit calibrer soigneusement son plan d'action», estime Alexander Huang, expert militaire de l'université Tamkang à Taipei. Selon lui, une réaction militaire de la Chine au scrutin «ne sera sans doute pas immédiate», mais «Pékin va faire monter la pression sur Taïwan d'autres manières».

Même opinion pour Marc Julienne, responsable des activités Chine à l'Institut français des relations internationales (Ifri): «La période à surveiller et qui risque d'être un peu plus dangereuse avec plus de gesticulations militaires chinoises, ce sera probablement à l'approche du discours d'investiture du président Lai au mois de mai».

Taïwan observe déjà une présence quasi-quotidienne d'avions et de navires de guerre chinois dans le détroit, ce qui fait redouter un possible accident, surtout en l'absence de communications à haut niveau entre Pékin et Taipei.

Les tactiques d'intimidation, comme l'envoi de ballons chinois, vont augmenter pour «faire monter la pression», prédit le politologue Wen-ti Sung.

La visite attendue dimanche et lundi d'une délégation informelle américaine, pour «transmettre les félicitations du peuple américain à Taïwan», risque aussi d'irriter Pékin. En août 2022, une visite à Taïwan de Nancy Pelosi, alors présidente de la Chambre américaine des représentants, avait provoqué la fureur de la Chine qui avait lancé des manoeuvres militaires d'ampleur en réaction.

Sanctions économiques

Taïwan est le leader mondial des semi-conducteurs, des composants indispensables à la confection des produits high-tech. Leader mondial des semi-conducteurs, Taïwan Semiconductor Manufacturing Company (TSMC) fournit à lui seul près de 50% de la production mondiale de micropuces de taille inférieure à 10 nm.

Ce qui ajoute une responsabilité supplémentaire à assumer pour le nouveau président Lai, celle de trouver un équilibre face aux tensions entre Chine et États-Unis sur l'exportation de technologies. Face à la presse samedi soir, Lai Ching-te a assuré vouloir apporter «un soutien fort à l'industrie des semi-conducteurs».

Pour Wen-ti Sung, Pékin pourrait accentuer sa pression économique sur Taïwan, ce qui «définirait les termes des échanges des deux côtés du détroit au cours des quatre prochaines années».

En 2022, la Chine avait réagi à la visite de Mme Pelosi également via des sanctions économiques, en interdisant l'importation de certains fruits et poissons en provenance de Taïwan.

Parlement récalcitrant

Les électeurs ont certes choisi Lai Ching-te comme prochain président, mais ils ont retiré la majorité parlementaire à son Parti démocrate progressiste (DPP). Sur les 113 sièges, le DPP n'en a plus que 51, contre 52 pour le Kuomintang (KMT), qui veut un rapprochement avec Pékin, huit pour le Parti populaire taïwanais (TPP) et deux pour des indépendants.

Le TPP aura donc un rôle «décisif» dans les prises de décision, prévoit Raymond Kuo, expert de Taïwan au sein de l'institut américain Rand Corporation.

Mais pour les sujets majeurs, comme le renforcement du budget de la défense, «il y a un début de consensus au sein de la population taïwanaise», souligne-t-il. Donc «faire de l'obstruction sur ces sujets sera néfaste» à l'opposition, selon lui.

Toutefois, toute législation liée aux relations avec la Chine sera difficile à faire adopter, prévient Sarah Liu, chercheuse à l'université d'Édimbourg. «Il est probable que le DPP n'obtienne pas grand-chose», dit-elle.

Maintenir le statu quo

Avec la victoire de Lai, le DPP a obtenu un troisième mandat inédit à la tête du pays, confirmant la volonté de la majorité des Taïwanais de garder une distance prudente vis-à-vis de la Chine.

La population «vote sans tenir compte de ce sentiment de crise (...) mis en avant par l'opposition», explique Ivy Kwek, du centre de réflexion International Crisis Group. Mais le climat de tensions fait que le maintien du statu quo «est désormais plus difficile».

«Ce qu'on voit, c'est que les Taïwanais ont de plus en plus une identité très distincte de celle de la Chine continentale», alors que parallèlement «Pékin est de plus en plus puissant», a déclaré Ivy Kwek. Et en toute logique, Washington «s'inquiète de plus en plus des intentions de la Chine à l'égard de Taïwan».

Dans ce contexte tendu, «obtenir des avancées sera difficile» pour le président Lai, «mais cela ne veut pas dire que les choses ne peuvent pas s'améliorer».