Bannis de Facebook ou TwitterLes extrémistes échangent ailleurs
ATS
24.2.2021 - 07:55
Gab au lieu de Twitter, MeWe pour remplacer Facebook, Telegram comme messagerie et Discord pour les initiés: bannies des plateformes grand public, les mouvances américaines conspirationnistes et de suprémacisme blanc se sont repliées sur des réseaux plus confidentiels et plus difficiles à réguler.
«Les partisans de Trump les plus extrêmes étaient déjà bien installés sur les plateformes alternatives», constate Nick Backovic, un chercheur de Logically.AI, une société spécialisée dans la désinformation numérique. «Facebook et Twitter ont été très lents à réagir. Cela a permis aux influenceurs de reconstruire leurs audiences quasiment sans interruption».
Après les émeutes du 6 janvier à Washington, les principaux réseaux sociaux ont sévi contre les organisations impliquées, comme les Oath Keepers, les Three Percenters et les Proud Boys.
Facebook a ainsi intensifié les purges contre les mouvements armés, tandis que Twitter, de son côté, a banni définitivement l'ancien président américain Donald Trump et supprimé 70'000 comptes affiliés à QAnon, une nébuleuse dont les fidèles sont persuadés, qu'il va sauver le monde d'élites corrompues et pédophiles.
Dans les mêmes communautés
«C'est une stratégie qui fonctionne», estime Jim Steyer, président de l'association Common Sense Media. «Regardez Trump sans Twitter: il a perdu son mégaphone. Ses messages ne sont plus amplifiés». Mais des millions d'extrémistes et conspirationnistes refusent de se résigner, selon des experts, qui craignent que la censure ne rapproche et ne soude des individus a priori très différents.
«Chez QAnon, vous avez des militants armés, des républicains traditionnels, des mères au foyer, votre prof de yoga... des gens qui avaient encore une certaine distance avec les groupes nazis ou suprémacistes. Mais là, ils commencent à se fondre dans les mêmes communautés. Ils n'ont nulle part ailleurs où aller», observe Alex Goldenberg du Network Contagion Research Institute (NCRI), un centre de recherche également spécialisé sur la désinformation numérique.
Les adeptes déçus se rassemblent sous d'autres bannières, notamment le mouvement anti-vaccins. Sur la messagerie cryptée Telegram, des groupes de dizaines de milliers de supporters de Donald Trump relaient ainsi de fausses rumeurs sur les «vaccins de dépopulation», entre deux insultes contre Joe Biden ou les migrants.
Le feu couve
Les autorités pourraient mépriser ces échanges véhéments dans les recoins méconnus de l'Internet. Mais si l'exclusion des grands réseaux sociaux a limité la capacité de recrutement à grande échelle des mouvements extrémistes, le feu couve sous la cendre. A la fin janvier, un groupe de manifestants a, par exemple, interrompu les vaccinations contre le Covid-19 dans un stade de Los Angeles.
La nécessité de réguler les réseaux alternatifs se heurte cependant aux contraintes morales et pratiques. Les limites de la liberté d'expression font l'objet d'un débat tendu aux Etats-Unis.
Parler, sorte de Facebook des conservateurs, s'est retrouvé hors-jeu pendant plusieurs semaines, exclu du web par Google, Apple et Amazon, parce qu'il enfreignait leurs règles sur la modération des contenus incitant à la violence. Il est revenu en ligne mi-février.
Gab et MeWe, qui ressemblent aussi à Facebook, ont vu leur popularité exploser dans la foulée du 6 janvier. Selon Alex Goldenberg, les extrémistes qui les ont rejoints s'en servent d'abord pour exprimer leur frustration.
«Il n'y a pas eu de pandémie en 2020. La grippe a été instrumentalisée pour détruire l'économie et voler l'élection» de Donald Trump, assure un utilisateur de Gab, ILoveJesusChrist123, en commentaire d'un communiqué de l'ancien président, relayé par la plateforme.
Efforts de modération
Telegram est plus propice au passage à l'action, via les groupes privés, protégés par le cryptage. Les aficionados des armes à feu, eux, se retrouvent sur le forum MyMilitia.com ("MaMilice.com», en français).
Mais là où les fondateurs de Gab ne cachent pas leurs affinités avec QAnon, MeWe et Telegram ont assuré qu'ils se passeraient bien de l'association avec les conspirationnistes. «Il y a des centaines de groupes sur MeWe et seulement une fraction portent sur la politique», a déclaré à l'AFP David Westreich, le directeur marketing de la plateforme. «Contrairement à Facebook et Twitter, [...] il n'y a pas sur MeWe de moyen pour les annonceurs, politiciens ou quiconque de promouvoir des choses à nos utilisateurs»
MeWe et Telgram ont fait des efforts de modération, mais les ressources nécessaires coûtent cher. «Ces mouvances, c'est comme la pollution. Elles ont gagné en pouvoir et en influence, parce qu'elles fonctionnaient librement sur Facebook, Twitter et YouTube», commente Emerson Brooking, spécialiste des extrémistes et de la désinformation à l'Atlantic Council, un groupe de réflexion.
Il recommande par conséquent une sorte de mutualisation des équipes et technologies de modération entre réseaux sociaux concurrents. Le gouvernement devrait aussi intervenir, estime John Farmer du NCRI: «Il doit traiter les réseaux comme l'eau et l'électricité: des biens publics soumis à régulation».