Elections américainesCinq raisons pour lesquelles Donald Trump a perdu
De Philipp Dahm
11.11.2020
A mesure que le temps passe depuis les élections, la défaite de Donald Trump devient de plus en plus évidente. Voici cinq raisons pour lesquelles le président a perdu la course, alors que les allégations de fraude n’ont guère de chances d’aboutir.
Samedi, Joe Biden et Kamala Harris ont célébré leur victoire à Wilmington, dans le Delaware (voir vidéo en bas de l’article). Dans son discours, le démocrate a souligné qu’il serait le président de tous les Américains. «Il est temps de guérir», a-t-il déclaré – et en effet, le pays est plus divisé que jamais.
En voyant que Donald Trump n’a que 20 000 voix de retard dans un Etat comme le Wisconsin, la méfiance pourrait être de mise. Mais les recomptages n’ont guère changé les résultats jusqu’à présent: même l’ancien gouverneur républicain du Wisconsin se montre peu optimiste. «20 000, c’est un obstacle de taille», a tweeté Scott Walker.
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Parce que même serrés, les résultats restent des résultats
Comment se déroulerait un recomptage? Il n’est pas nécessaire de donner des raisons particulières pour procéder à un contrôle: lorsque les candidats ont moins de 0,25% d’écart, l’Etat prend en charge la procédure si une requête est formulée. Cependant, comme l’avance de Biden est plus importante, les républicains devraient tout d’abord passer à la caisse. Ce n’est que si le résultat du recomptage change de manière significative qu’ils pourront récupérer leur argent.
Autrement dit, Donald Trump a besoin d’argent pour contester le résultat dans le Wisconsin. Le recomptage se prolongerait alors jusque début décembre. Enfin, il convient de se souvenir de l’avance que Donald Trump avait lors de sa victoire contre Hillary Clinton dans le Wisconsin en 2016 – il n’y avait que 22 748 voix d’écart.
La carte ci-dessus montre la répartition des voix du Collège électoral en 2016, lorsque Hillary Clinton a perdu contre Donald Trump. (Source: 270ToWin.com)
Comparée aux résultats par Etat des élections de cette année, la carte de 2016 ne semble pas très différente à première vue. Mais les différences sont de taille en raison du nombre important de grands électeurs dans les Etats en question. Si Donald Trump a perdu des Etats comme l’Arizona, un Etat du sud-ouest du pays qui compte onze grands électeurs, cela n’a rien d’une coïncidence. Les électeurs n’ont pas oublié le traitement réservé par le président à l’un des grands noms du parti.
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Parce qu’il s’est également mis à dos les républicains
Sénateur de l’Arizona, le républicain John McCain était la bête noire de Donald Trump. Même après sa mort en 2018, ce dernier ne s’était pas montré tendre envers le héros de guerre américain. Le fait que la reconnaissance par John McCain de sa défaite électorale contre Barack Obama en 2008 soit désormais célébrée sur Internet s’inscrit dans ce schéma.
Il en va de même en Pennsylvanie, un Etat comptant 20 grands électeurs où Donald Trump ne s’est pas vraiment attiré la sympathie des électeurs républicains. A peine deux semaines avant le scrutin, il a déclaré ouvertement lors d’une apparition à Erié qu’il ne serait certainement pas venu en Pennsylvanie si la pandémie ne l’y avait pas obligé. «J’aurais appelé», a-t-il affirmé de but en blanc.
Cette attitude n’est pas étrangère à l’incapacité de Donald Trump à maintenir sa maigre avance de 44 292 voix acquise en 2016. Les démocrates ont fait tout le contraire, comme le montre bien l’exemple de la Géorgie.
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Parce qu’il a sous-estimé les démocrates
Le 23 octobre, Kamala Harris s’est présentée à Atlanta, suivie quatre jours plus tard par Joe Biden. Le dimanche 1er novembre, deux jours avant les élections, elle s’est mobilisée dans une banlieue d’Atlanta, avant que Barack Obama ne batte le tambour pour les démocrates à la veille du scrutin. Résultat: Donald Trump a perdu l’avance de 211 141 voix qu’il avait en 2016. En Géorgie, Joe Biden l’emporte avec 10 000 voix d’écart et les démocrates récoltent les fruits de leur campagne ciblée.
La carte ci-dessus montre la répartition des résultats des élections de cette année en Géorgie: les démocrates marquent des points dans les secteurs fortement peuplés d’Atlanta et de Savannah. La carte ci-dessous détaille la répartition ethnique au sein de l’Etat: Joe Biden ressort vainqueur là où vivent beaucoup d’électeurs noirs.
L’ampleur de l’enjeu pour ce groupe de population a peut-être été illustrée par l’émotion de Van Jones. Lorsque ce commentateur noir de CNN a été invité à commenter l’issue des élections, il est devenu un «héros des larmes», comme l’a si joliment décrit une utilisatrice de Twitter.
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Parce qu’il a perdu le soutien des minorités
La voix de plus en plus enrouée, Van Jones a confié qu’il était désormais plus facile pour lui d’être père. «C’est plus facile de dire à ses enfants que le caractère, ça compte. Que dire la vérité, ça compte. Qu’être une belle personne, ça compte.»
«C’est plus facile pour beaucoup de gens, a-t-il poursuivi. Si vous êtes musulman dans ce pays, vous n’avez pas à vous inquiéter du fait que le président ne veuille pas de vous ici. Si vous êtes un immigré, vous n’avez pas à vous inquiéter d’avoir un président qui serait heureux de vous arracher votre bébé des bras ou d’expulser [les enfants nés aux Etats-Unis d’immigrés clandestins] sans raison. […] Ce n’est que justice pour tous ceux qui ont vraiment souffert.»
Il a ensuite fait référence aux événements de mai 2020, lorsque des policiers ont brutalement étouffé un père de cinq enfants lors de son arrestation à Minneapolis: «"Je n’arrive plus à respirer" – il n’y avait pas que George Floyd. Beaucoup de gens avaient l’impression de ne plus pouvoir respirer.»
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Parce qu’il n’y a aucune preuve de fraude
Situation bizarre le week-end dernier: alors que dans l’Arizona, les républicains criaient «Comptez les votes!» devant les bureaux de vote, les partisans de Donald Trump dans le Michigan scandaient «Arrêtez le comptage!». Ces scènes sont représentatives du caractère contradictoire des allégations du président, qui prétend être victime de fraude électorale.
A l’heure actuelle, les accusations ne reposent sur aucun fondement factuel. Le déroulement des élections relève même en partie de la responsabilité de son camp: dans le Michigan et en Pennsylvanie, les responsables électoraux ont tenté de modifier les lois pour permettre un décompte anticipé des votes par correspondance – ce que les républicains ont contrecarré. Joe Biden aurait alors eu une énorme avance avant de voir Donald Trump se rapprocher. Au lieu de cela, c’est l’inverse qui s’est produit.
Le procureur général qui a rejeté la motion de Trump visant à arrêter le comptage en Pennsylvanie a été nommé sous le mandat du républicain George W. Bush. Et il a même haussé le ton face aux avocats de Donald Trump: «C’est quoi, votre problème?» Le problème, c’est qu’il n’y a manifestement aucune preuve de fraude et que sans preuve, cela devient difficile. C’est notamment pour cette raison que la Maison-Blanche appelle presque désespérément d’éventuels témoins à s’exprimer.
Les perspectives
Donald Trump est passé maître dans l’art de déterminer les discours. Aucun président sortant n’a jamais reçu autant de votes «populaires», a-t-il affirmé dernièrement dans un tweet. C’est probablement vrai – mais les Etats-Unis n’ont jamais compté autant d’habitants et beaucoup plus de gens se sont inscrits pour participer à ce scrutin. Dans le même temps, il est vrai qu’aucun candidat n’a jamais reçu autant de suffrages que Joe Biden. Mais cela n’empêche pas Donald Trump de se vanter.
En revanche, les chiffres disent tout autre chose – et comme le président de 74 ans n’est pas en mesure de les contester, il devra probablement quitter la Maison-Blanche. Potentiellement épuisés après cette longue campagne électorale, les partisans de Donald Trump auront constaté avec soulagement que Joe Biden leur a tendu la main dans son discours de victoire.
Par ailleurs, Donald Trump envisage à présent d’organiser de nouveaux événements – pour pouvoir financer les recours électoraux et les recomptages avec l’argent de son public. On ignore quand le New-Yorkais cédera – si tant est qu’il finisse par céder. L’idée qu’il puisse se relancer immédiatement dans une campagne pour 2024 après sa défaite est tout sauf à exclure.