SociétéMasculinisme : la revanche des «mâles alpha» gagne en visibilité
ATS
23.3.2025 - 08:25
L'heure de la revanche pour le mâle alpha: les discours masculinistes connaissent aujourd'hui un large écho, portés par la montée du populisme de droite souvent hostile aux mouvements féministes.
Adulé par de nombreux adolescents, Andrew Tate incarne une masculinité violente qui inquiète chercheurs, éducateurs et féministes.
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Keystone-SDA
23.03.2025, 08:25
ATS
A la fin février, le retour aux Etats-Unis du masculiniste britannico-américain Andrew Tate, partisan déclaré du président américain Donald Trump, a relancé le débat sur l'influence de ces personnalités.
«Top G» ou «Cobra», comme il se fait appeler, a pu quitter la Roumanie pour la Floride, avec son frère Tristan, en dépit de poursuites pour traite d'êtres humains et viols dont ils font l'objet. Les deux frères sont actuellement en Roumanie pour leur contrôle judiciaire.
Suivi par de nombreux adolescents et jeunes adultes à qui il assène sa vision de la masculinité, violente et hostile aux femmes, l'ancien professionnel de kickboxing a été exclu d'Instagram et TikTok pour ses propos misogynes, mais continue de s'exprimer sur le réseau social X, appartenant à l'homme le plus riche au monde, Elon Musk.
Montée du populisme
Pour Jacob Johanssen, professeur associé à la St Mary University de Londres, «nous assistons à une normalisation de la misogynie, de la culture du viol et de la violence à l'égard des femmes». Cette tendance est «intrinsèquement liée à la montée du populisme de droite dans de nombreuses régions du monde», souligne-t-il auprès de l'AFP.
Baptisée «manosphère», cette mouvance hétéroclite a une autre figure de proue en la personne de Jordan Peterson. Ce psychologue canadien estime notamment que l'existence d'inégalités entre hommes et femmes se justifie par les lois de l'évolution.
Les féministes alertent depuis des années sur un «retour de bâton», en référence à la contre-attaque conservatrice face à l'avancée des droits des femmes. Et sur fond d'offensive de Donald Trump contre les politiques de diversité, les discours «anti-woke» se font de plus en plus entendre. Le fondateur et patron de Meta, Mark Zuckerberg, appelait ainsi en janvier au retour à «une énergie masculine».
Le doctorant australien Joshua Thorburn, de la Monash University de Melbourne, pointe la présence d'"une nouvelle dynamique» rendant ces idées «plus visibles». Selon lui, elles se nourrissent des «complexes et préjugés» qu'ont certains jeunes hommes.
«Des groupes d'entraide»
«Nous vivons dans un monde instable et précaire et les hommes, comme tout le monde, sont confrontés à de nombreux problèmes. Ils se sentent aliénés», estime aussi Jacob Johanssen.
C'est là qu'interviennent la manosphère et ses nombreux forums et chaînes YouTube. Ces derniers agissent «comme des groupes d'entraide pour les hommes, où ils peuvent discuter de questions telles que la santé mentale, la vulnérabilité ou la solitude», poursuit le chercheur britannique.
«Une grande partie des contenus de la manosphère est liée à ce que les jeunes hommes peuvent chercher en ligne, comme des conseils pour des rencontres amoureuses ou en matière de santé, de fitness ou de finance», explique aussi Joshua Thorburn.
A Londres, Alistair, 15 ans, est friand de la chaîne YouTube FreshandFit, dédiée à «l'amélioration de l'image des hommes». Outre des vidéos sur comment arborer une musculature de rêve, d'autres entendent expliquer en quoi «les femmes sont hypocrites» ou pourquoi elles «ne pourront jamais être égales aux hommes».
Espaces «toxiques»
Alistair, qui est «fan» d'Andrew Tate, ne voit pas le problème. «J'aime leurs conseils sur le sport et les études à faire pour gagner de l'argent», égrène le lycéen. «Où est le mal?».
Ces forums «sont aussi le lieu de discussions très toxiques, d'expression de misogynie et de sexisme», alerte Jacob Johanssen.
L'ancien sélectionneur de l'équipe de football d'Angleterre Gareth Southgate a fustigé cette semaine ces «influenceurs qui trompent délibérément les jeunes hommes en leur faisant croire que le succès se mesure à l'argent ou à la domination, que la force consiste à ne jamais montrer ses émotions et que le monde, y compris les femmes, est contre eux».
Le public le plus jeune n'est pas suffisamment armé pour discerner ces messages toxiques, déplore la chercheuse britannique Harriet Over, qui travaille sur les conséquences de ces discours sur les adolescents.
La série télévisée britannique à succès «Adolescence», diffusée depuis la mi-mars sur Netflix, explore le sujet à partir du meurtre d'une collégienne, poignardée par un garçon de 13 ans victime de harcèlement et influencé par les thèses masculinistes diffusées en ligne. Les scénaristes disent s'être inspirés de plusieurs faits divers, sans préciser lesquels.
En juillet dernier, un jeune homme de 26 ans a tué à l'arbalète et au couteau son ex-petite amie, la soeur et la mère de cette dernière dans une commune au nord de Londres. Son procès a révélé qu'il avait regardé des vidéos d'Andrew Tate la veille du triple meurtre.