Défense antiaérienneUn réveil compliqué pour les Européens, face à leurs lacunes
ATS
15.6.2023 - 07:41
La multiplication des attaques de drones et de missiles en Ukraine a mis les pays européens face à leurs lacunes en matière de défense antiaérienne. S'ils tentent de s'organiser pour y remédier, le processus s'annonce ardu, long et coûteux, estiment des experts.
15.06.2023, 07:41
ATS
Le salon aéronautique et de l'espace qui s'ouvre lundi au Bourget, au nord de Paris, devrait faire une large place à la question de la défense contre les menaces aériennes, prédit Richard Aboulafia, directeur général d'AeroDynamic Advisory.
«On va beaucoup parler de capacités de production de missiles. C'est sans aucun doute le segment de l'industrie qui connaît la croissance la plus rapide et, pourtant, les fabricants n'arrivent pas à suivre», affirme le consultant à l'AFP.
L'absence de menaces et la maîtrise du ciel par les Occidentaux depuis la fin de la guerre froide les a conduits à renoncer en grande partie aux puissantes défenses antiaériennes, qui devaient protéger les unités de l'OTAN contre l'aviation soviétique.
Stocks très maigres
La France a ainsi dissous huit de ses neuf régiments d'artillerie sol-air, rappellent les députés Natalia Pouzyreff et Jean-Louis Thiériot dans un récent rapport.
Les pays de l'OTAN ont entamé ces dernières années une remontée en puissance, en constatant que de plus en plus de pays se dotaient de missiles de croisière, de missiles balistiques de courte portée ou de drones, note Mark Cancian, expert du groupe de réflexion américain CSIS (Center for Strategic and International Studies).
«Ils ont commencé, mais ne sont pas allés bien loin», affirme-t-il à l'AFP. «Dans cinq ans, il y en aura beaucoup plus, mais cela n'aide pas l'Ukraine pour l'instant».
Systèmes antiaériens peu nombreux, stocks de missiles étiques: l'Ukraine réclame à cor et à cri l'assistance des Occidentaux, bien en peine de la fournir en quantité, qu'il s'agisse de systèmes de courte ou de moyenne portée. Les investissements arrivent: Berlin prévoit de consacrer 5 des 100 milliards d'euros de son fonds spécial à la défense antiaérienne, Paris également 5 milliards d'euros entre 2024 et 2030.
Euro Sky Shield
Le fabricant de missiles européen MBDA a signé ces derniers mois un contrat d'environ 2 milliards d'euros avec Paris et Rome pour fournir près de 700 missiles Aster, équipant notamment le système franco-italien SAMP/T, un autre de 2,2 milliards d'euros avec la Pologne pour lui fournir 44 lanceurs et plusieurs centaines de missiles CAMM.
Les Européens tentent aussi de s'organiser. Le chancelier allemand Olaf Scholz a lancé en octobre une «initiative européenne de bouclier aérien» (Euro Sky Shield), rassemblant aujourd'hui 17 pays européens. Mais pas la France ni l'Italie ni la Pologne.
Il s'agit de faire des acquisitions communes pour disposer du spectre complet de systèmes antiaériens, en s'appuyant sur l'Iris-T allemand pour la courte portée, le Patriot américain pour la moyenne portée et le système américano-israélien Arrow-3 pour la longue portée. L'idée d'une telle harmonisation est «extrêmement judicieuse», salue Richard Aboulafia.
La difficulté d'uniformiser
Mais de prévenir: «À chaque fois que l'OTAN essaie d'uniformiser, il faut prendre de grandes décisions pour savoir qui prend la direction de la production et de la conception. Nous avons déjà vu ce film et le gros problème, c'est toujours la France», réticente à ne pas être cheffe de file, selon lui.
C'est un écueil majeur pour le projet, note le groupe de réflexion allemand SWP. L'absence de Paris et de Rome dans le projet «montre que la proposition de l'Allemagne ne tient pas suffisamment compte des intérêts de la sécurité européenne, qu'elle n'a pas réussi à convaincre ses partenaires et qu'elle laisse de nombreuses questions sans réponse sur les plans stratégique, militaire, industriel et économique», détaille-t-il dans un rapport.
Et le choix de systèmes américain ou israélien plutôt qu'européen, «va à l'encontre de l'objectif de renforcement de la base industrielle et technologique de défense de l'Europe», ajoute-t-il.
Pour les députés Pouzyreff et Thiériot, «la place inexistante des solutions européennes [...] contre une promotion de produits américains et israéliens est déplorable».