Berne
La plupart reviennent de l’enfer. Du désert où des passeurs les ont laissés choir. Ou de Libye et d’Algérie, victimes de traitements inhumains. Les migrants du centre de l’OIM à Agadez (Niger) sont tous des candidats volontaires au retour dans leur pays d’origine.
A l’aide d’une béquille, un homme plus marqué que les autres avance comme il peut. Il a tout le respect du camp en raison de ce qu’il a vécu et de ce qu’il a vu. Il ne pourra répondre qu’à deux ou trois questions avant de pleurer et de s’enfuir. L’épreuve est trop dure quand bien même, dit-on, la parole libère.
Ce Sénégalais d’une vingtaine d’années a réussi à se sauver de la Libye. Il était parti d’Agadez il y a plusieurs mois avec un passeur pour traverser le désert. "Au deuxième jour, le passeur a laissé tout le monde en rade sous prétexte que la voiture était gâtée. Il nous a dit qu’il allait chercher des secours et rapporter de l’eau et de la nourriture. Mais il n’est jamais revenu. Un Malien a perdu la vie, mort de fatigue. On est resté dans le désert pendant huit jours."
Et le cauchemar continue ainsi. "Le huitième jour, une autre voiture est venue et on nous a demandé de payer davantage pour aller jusqu’en Libye. Comme on voulait sauver nos têtes, on a accepté. Le convoi est parti de nuit avec 50 personnes à bord de deux véhicules. Le pneu d’une des voitures a crevé et on nous a à nouveau demandé de cotiser pour pouvoir redémarrer. On a dormi un peu après la frontière. Plus tard, on nous a enfermés dans une maison à Sabha (dans le sud-ouest de la Libye). Là on a été surveillés par des hommes armés pendant trois jours".
Le piège se referme
Et ce n’est pas fini. "D’autres hommes armés ont ensuite pris cinq personnes pour les emmener en prison. Moi, je suis resté avec trois Guinéens. On nous conduits dans un endroit qui avait été baptisé Al-Jazeera à Sabha. C’est une prison privée et surveillée avec des caméras partout. On nous a couchés et on nous a frappés au bas des pieds. Les geôliers massaient également la tête des gens avec du courant électrique. Quand j’ai vu ce qu’ils faisaient avec l’un des Guinéens devant moi, j’ai pensé ‘t’es dans l’enfer, mec’. Ils lui ont mis du courant électrique sur l’oreille et c’est comme ça qu’il est mort". Le récit s’arrête là. L’homme à la béquille repart en pleurs.
"En Algérie aussi, c’était pas bon. On a trop souffert. On a traversé deux frontières, puis on nous a fait entrer au foyer à Timawen (à 50 km d’Alger), raconte un autre migrant. "On nous a baladés d’un foyer à l’autre. Je n’ai pas fait de prison en Algérie. Mais j’ai travaillé et personne ne m’a payé. Ils nous ont raflés comme des chiens et cassé nos portables. On nous a tout pris, nos passeports. A Tamanrasset, j’ai été frappé, torturé. On nous a ensuite laissés avec un bidon d’eau. Je vais retourner au pays, en Guinée Conakry, pour travailler. C’est mieux. Je ne vais jamais retourner en Algérie ou devenir clandestin pour partir en Europe", explique Saïd (nom d’emprunt), un parmi les 548 migrants fraîchement récupérés dans le désert et recensés ces derniers jours dans le centre de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) d’Agadez.
L’exil, une réponse à la pauvreté
Le décompte brutal des arrivées journalières punaisé contre le mur de réception du centre de l’OIM confirme que la plupart des migrants qui tentent aujourd’hui le passage vers le nord viennent d’Afrique subsaharienne: Guinée Conakry (200), Mali (98), Nigeria (57), Cameroun (55), Sénégal (31), Côte d’Ivoire (23), et ainsi de suite. Au total: 519 hommes, des jeunes pour la grande majorité, 13 femmes, 16 mineurs. Mais ce décompte peut varier d’une semaine à l’autre, avec des pics d’arrivées plus importants.
"Je vais retourner en Côte d’Ivoire, j’ai fait une mauvaise expérience en Algérie", s’indigne un autre migrant. "Je vais retourner chez moi, mais pour y faire quoi, je ne sais pas". Tous ont les yeux éteints et le regard hagard, se demandant bien ce que la délégation suisse cornaquée par la conseillère fédérale Simonetta Sommaruga vient faire par là. Leurs chairs et leurs âmes blessées dévoilent leurs parcours semés d’embûches. Ils ne cherchent de loin pas à rejoindre l’Europe, ce rêve impossible. Et les raisons qui les poussent à prendre le large sont leur réponse à la pauvreté qui rongent leurs familles restées au pays. "Mieux vaut mourir en mer que devant sa mère qui n’a pas d’argent", résume un responsable de la Croix-Rouge française à Agadez.
Minimum vital
Au moins, ils sont en sécurité dans ce camp de premiers secours en périphérie de cette ville mythique des anciens caravaniers. Ils profitent d’un confort certes relatif, mais qu’ils n’avaient plus connu depuis des mois, assoiffés dans le désert. Un matelas, une toiture pour se protéger du chaud, une infirmerie et un centre de prise en charge des psychoses post-traumatiques.
Un Camerounais vient de passer deux ans en Libye. "J’ai essayé d’entrer en Italie, sans succès. Le bateau s’est percé, il y a eu des morts. Après j’ai connu les prisons libyennes, notamment à Misrata. Des rebelles m’ont vendu. Des bandits m’ont frappé (il montre ses phalanges). On m’a demandé de faire appel à ma famille pour qu’elle envoie de l’argent aux ravisseurs pour me libérer. On m’a kidnappé. J’ai fait quatre prisons au total." Des histoires glaçantes comme celle-ci, il suffit de tendre l’oreille dans le camp d’Agadez pour saisir l’océan d’humiliations et d’outrages que ces jeunes personnes ont enduré.
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