Des musées aux routes Les activistes climatiques imposent le débat

ATS

7.11.2022 - 08:01

Oeuvres d'art aspergées de soupe, compétitions sportives interrompues, routes bloquées: par des actions-chocs innovantes, les nouveaux partisans de la désobéissance civile ont réussi à installer à la une le débat sur l'inaction climatique. Ils assument le risque de braquer une partie de l'opinion contre la transition écologique.

Des militants écologistes et des membres de Renovate Switzerland bloquent la route sur le pont de Lorraine lors d'un barrage routier à Berne, en Suisse, le samedi 29 octobre 2022.. (archives)
Des militants écologistes et des membres de Renovate Switzerland bloquent la route sur le pont de Lorraine lors d'un barrage routier à Berne, en Suisse, le samedi 29 octobre 2022.. (archives)
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Ces collectifs militants se nomment Just Stop Oil au Royaume-Uni, Ultima Generazione en Italie ou Dernière rénovation en France. Membres du Réseau A22, présent dans onze pays occidentaux et financés par le Climate Emergency Fund, ils ont multiplié les actions ces dernières semaines, chacun déclinant une revendication d'urgence au niveau national: la rénovation thermique en France, les incendies de forêt en Australie, la sortie des énergies fossiles en Norvège.

Mais, contrairement au militantisme habituel, les cibles n'ont pas nécessairement de lien direct avec le message. Là où L214 s'en prend aux abattoirs pour défendre les animaux et où Greenpeace bloque des convois de déchets nucléaires, ces jeunes collectifs changent de terrain, interrompant un opéra à Paris, aspergeant de purée la vitre devant un tableau de Monet à Postdam ou se collant la main sur celle protégeant La Jeune Fille à la Perle, à La Haye.

Controverse

«Nous allons au devant du plus grand épisode de souffrance et d'injustice dans l'histoire humaine et notre fenêtre d'action est sur le point de se refermer», se justifie «Dernière Rénovation» dans un manifeste, parlant d'une «opération de sauvetage de la dernière chance».

Ces actions sont loin de faire l'unanimité, y compris dans le camp écologiste. «Le climat mérite mieux que cette caricature imbécile», a réagi l'ex-candidat vert à la présidentielle française Yannick Jadot après une attaque à la soupe contre les Tournesols de Van Gogh.

«On est dans le 'buzz', pas dans l'action», s'agaçait à la fin octobre le ministre française de la transition écologique Christophe Béchu. «Il y a tellement de gens qui cherchent à décrédibiliser la lutte contre changement climatique. Pourquoi voulez-vous leur donner des munitions supplémentaires?», interroge aussi le politologue belge François Gemenne.

Désespoir

L'universitaire, qui contribue aux rapports scientifiques de l'ONU (GIEC), appelle à faire le tri dans les actions. Il juge «catastrophique» de s'attaquer à l'art tout en approuvant le «symbole» de la mise en berne du drapeau français sur le Panthéon, réalisée lundi par Dernière Rénovation.

«Aux critiques, je dirais cela: si vous n'aimez pas ce qu'ils font, alors ne vous contentez pas de chicaner et faites quelque chose que vous jugez meilleur, qui soit plus positif et efficace», avance Rupert Read, professeur à l'université d'East Anglia et ancien porte-parole d'Extinction Rebellion, autre collectif écologiste adepte de la désobéissance civile. «Si vous agissez, peut-être que nos jeunes se sentiront un petit peu moins désespérés», ajoute-t-il.

Dans ces actions, «ce qui compte, c'est de décaler l'objet de l'action pour dire: 'Ecoutez, prenons-nous en à tout, y compris au plus sacré qu'est l'art, parce qu'en face, c'est la mort qui nous attend si on ne fait rien'», résume Xavier Arnauld de Sartre, géographe au CNRS.

Diversification

«A court terme, cela a un coût d'image élevé», reconnaît l'universitaire, «mais en même temps, ces jeunes pourraient vouloir ainsi assumer la radicalité et faire passer les radicaux d'hier pour des gens respectables, avec qui on peut parler».

«Il existe de nombreux exemples de cet effet dans l'histoire», abonde Rupert Read. «Mais il faut faire attention, car les actions peuvent aussi se retourner contre vous», dit-il, mettant en garde les militants: «Essayez toujours de faire en sorte que toute action que vous entreprenez ait un sens pour les gens ordinaires. Et si possible, qu'elle soit belle».

«Je ne pense pas que ces actions amènent à changer des comportements» dans la population, note le sociologue québécois Stéphane La Branche, mais elles participent à la «diversification» des moyens d'alerter sur l'urgence climatique, «là où d'autres passent par le théâtre, le jeu, le yoga...».

Face au péril et à l'urgence d'agir, où s'arrêtera la désobéissance civile? Stéphane La Branche craint «que ce soit récupéré par des Black Blocs, qui mènent des actions violentes en marge de celles non violentes», au risque de décrédibiliser ces collectifs. «Ou bien qu'un accident ou qu'une opposition à ces actions les fassent dégénérer».