Retour au pays Emprisonner Navalny? Moscou se tâte

ATS

16.1.2021 - 09:18

Vladimir Poutine est face à un dilemme: doit-il emprisonner son pire ennemi Alexeï Navalny, qui prévoit de rentrer d'Allemagne à Moscou dimanche après avoir survécu à son empoisonnement présumé, ou le laisser en liberté?

L'annonce par Alexeï Navalny de son retour, après des mois de convalescence en Allemagne, a autant agité ses détracteurs que ses soutiens, qui craignent pour sa sécurité et sa liberté. (Compte Instagram d'Alexeï Navalny)
L'annonce par Alexeï Navalny de son retour, après des mois de convalescence en Allemagne, a autant agité ses détracteurs que ses soutiens, qui craignent pour sa sécurité et sa liberté. (Compte Instagram d'Alexeï Navalny)
KEYSTONE

Pour les experts, le président Vladimir Poutine devra choisir le moindre de deux maux. Laisser l'opposant revenir librement en Russie, c'est risquer de paraître faible. Le condamner à de la prison ferme, c'est faire de son cas une cause célèbre sur laquelle seront braqués tous les projecteurs mondiaux.

«Il n'y a pas de bonne décision mais une décision devra être prise malgré tout», résume pour l'AFP la politologue Tatiana Stanovaïa.

L'annonce par Alexeï Navalny de son retour, après des mois de convalescence en Allemagne, a autant agité ses détracteurs que ses soutiens, qui craignent pour sa sécurité et sa liberté.

Quoiqu'il arrive au principal opposant russe, son retour est un défi lancé à Vladimir Poutine, dont la popularité a chuté ces dernières années. C'est aussi une nouvelle donne avant les élections législatives prévues cette année.

Trois laboratoires européens ont conclu que l'opposant de 44 ans a été empoisonné, alors qu'il était en tournée électorale en Sibérie, avec un agent innervant de type Novitchok de l'ère soviétique. Une conclusion confirmée par l'Organisation pour l'interdiction des armes chimiques (OIAC), malgré les dénégations de Moscou.

«En panique»

Sorti du coma début septembre, Alexeï Navalny affirme depuis avoir été victime d'une tentative d'assassinat des services spéciaux russes (FSB) sur ordre de Vladimir Poutine.

Refusant obstinément d'ouvrir une enquête sur ce qui est arrivé à M. Navalny en Sibérie cet été, les autorités russes ont au contraire lancé une nouvelle investigation en décembre. Elles l'accusent d'avoir dépensé pour son usage personnel 356 millions de roubles (4 millions de francs) de dons.

Et jeudi, les services pénitentiaires ont assuré qu'ils seront «obligés» d'arrêter l'opposant à son retour, pour avoir violé les conditions d'une peine de prison avec sursis pour détournement de fonds à laquelle il a été condamné en 2014 et qu'il a toujours dénoncé comme étant politiquement motivée.

«Ils ne voulaient vraiment pas qu'il revienne», constate l'analyste politique Anton Orekh en référence aux autorités russes: «Maintenant, les types sont en panique».

Alexeï Navalny, militant anticorruption qui a organisé de nombreuses manifestations très suivies et dont la tactique électorale a provoqué plusieurs revers embarrassants pour le pouvoir lors de scrutins locaux, est régulièrement poursuivi en justice et condamné à de courtes détentions.

Il n'a en revanche jamais fait de longue peine de prison. En 2013, il avait été condamné à cinq ans ferme pour détournements de fonds, mais sa peine avait été commuée en sursis après d'importantes manifestations de protestation.

«Geste puissant»

Selon Mme Stanovaïa, pour éviter d'avoir à l'enfermer, les autorités russes pourraient trouver un moyen de limiter son activisme politique en le déclarant par exemple «agent de l'étranger», terme issu d'une loi interdisant à des individus ou organisations de recevoir des dons venant d'autres pays.

Le Kremlin pourrait aussi choisir une méthode plus expéditive à l'approche des élections législatives de l'automne. «J'ai le sentiment que le Kremlin est fatigué de ce jeu. La confrontation avec Navalny dure depuis trop longtemps», estime-t-elle.

Alexeï Navalny est lui-même inéligible à cause de ses démêlés judiciaires et, ignoré des grands médias publics, sa popularité est avant tout concentrée à Moscou et quelques autres grandes villes. Nombre de ses alliés sont aussi empêchés de se présenter aux élections.

Réalisé en septembre, un sondage du centre indépendant Levada montrait que seulement 20% des Russes approuvaient l'activisme de M. Navalny contre 50% le désapprouvant, le reste n'ayant soit pas entendu parler de l'opposant, soit pas d'avis.

Les soutiens de M. Navalny espèrent que l'attention internationale depuis son empoisonnement lui évitera une arrestation et la prison. Ils ont appelé les Russes à se rendre à l'aéroport Vnoukovo de Moscou dimanche pour l'accueillir, un évènement créé sur Facebook montrant que quasiment 2000 personnes prévoient de le faire.

Pour le politologue Sergueï Medvedev, le retour de Navalny en Russie est «un geste puissant, quoi qu'il arrive». «C'est un retour de la politique russe qui était jusque-là dans les limbes, non existante», a-t-il ajouté sur Facebook.

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