Voyous «patriotes» En Ukraine, les mafieux aussi doivent choisir leur camp

ATS

4.6.2023 - 06:42

Kirim tire sur sa cigarette en expliquant qu'il a décidé de rompre tout lien avec les criminels russes. La guerre a poussé ce contrebandier ukrainien à mettre fin à son implication dans l'un des réseaux mafieux les plus puissants au monde.

Formé sur les ruines de l'Union soviétique, ce trafic transfrontalier de drogue, d'armes et d'êtres humains entre la Russie et l'Ukraine a été chamboulé par l'invasion russe lancée en 2022. (image d'illustration)
Formé sur les ruines de l'Union soviétique, ce trafic transfrontalier de drogue, d'armes et d'êtres humains entre la Russie et l'Ukraine a été chamboulé par l'invasion russe lancée en 2022. (image d'illustration)
KEYSTONE

Formé sur les ruines de l'Union soviétique, ce trafic transfrontalier de drogue, d'armes et d'êtres humains entre la Russie et l'Ukraine a été chamboulé par l'invasion russe lancée en 2022.

«La grande majorité des criminels ukrainiens ont pris le parti de l'Ukraine, mais il y a aussi ceux qui continuent à collaborer avec la Russie», explique Kirim, 59 ans, dans un café de la ville portuaire d'Odessa, dans le sud du pays.

En attaquant l'Ukraine, les troupes russes ont coupé une route de contrebande qui s'étendait sur des centaines de kilomètres depuis la Russie en direction de l'Europe. Le crime organisé des deux pays, qui partagent des liens historiques, linguistiques et culturels, a prospéré dans les tumultueuses années 1990, profitant d'une corruption très répandue.

Voyous «patriotes»

«Il s'agissait de l'un des écosystèmes criminels les plus soudés d'Europe. Ils ne faisaient qu'un», souligne auprès de l'AFP Tuesday Reitano, directeur adjoint de l'ONG Global Initiative Against Transnational Organized Crime.

La guerre a cependant dressé des barrières physiques au trafic, entre combats sur le front et postes de contrôles. Sans compter les énormes souffrances causées par l'invasion. Un sentiment de «nous contre eux» s'est ainsi développé chez les mafieux ukrainiens, de sorte que «même les criminels se sentent patriotes», explique M. Reitano.

Kirim se présente ainsi comme un patriote. Il dit avoir mis fin à la totalité de ses contacts de contrebande avec les Russes, tout en assurant que des criminels ont financé l'effort de guerre ukrainien et des oeuvres de charité. Certains auraient, selon lui, également participé aux combats sur le front.

Selon M. Reitano, il se peut que les criminels utilisent l'état de guerre pour tenter de se refaire une image ou d'obtenir l'indulgence des autorités en échange de leur soutien.

«Pour ma ville»

Un autre membre de la pègre d'Odessa, qui s'exprime sous le pseudonyme d'Alexandre, a aussi assuré être un patriote refusant de travailler avec les Russes. Ce recouvreur de dette, âgé de 40 ans, souligne toutefois que le code de conduite des gangsters interdit toute coopération avec l'Etat ukrainien, qu'il a décrit comme fondamentalement corrompu.

«Je ne veux pas me battre pour eux, mais je me battrai pour ma ville», proclame-t-il en sirotant sa deuxième bière de fin de matinée. Les deux hommes racontent que les services de sécurité ukrainiens ont donné l'ordre à la mafia de cesser ses activités lorsque Moscou a envahi le pays, et qu'ils voulaient toute information sur les Russes.

Les services de sécurité ukrainiens ont affirmé à l'AFP avoir «neutralisé» au printemps 2022 un puissant groupe criminel à Odessa, qui coopérait avec Moscou et «terrorisait et intimidait les habitants».

Aussi patriotiques qu'ils se disent être, les criminels ukrainiens locaux peuvent aussi profiter des territoires laissés par les Russes chassés par la guerre.

Pas de scission

Lorsque la guerre a éclaté, des membres de groupes criminels organisés internationaux de haut niveau ont quitté la Russie et l'Ukraine pour des régions moins agitées telles que l'Asie centrale et les Etats du golfe Persique.

«Nous savons qu'il y a encore beaucoup de coopération entre la pègre russe et la pègre ukrainienne, en dehors de l'Ukraine», révèle ainsi Tuesday Reitano. Selon l'agence de police européenne Europol, il est très probable que les criminels des deux pays continuent à travailler ensemble.

Ils utilisent en effet différentes routes de contrebande et l'arrêt de l'une d'entre elles ne stoppe pas le trafic. Ils s'adaptent et diversifient leurs opérations. «Ils font attention aux profits et, malgré la guerre, continuent leurs activités criminelles, tout en cherchant les meilleures opportunités», explique Catherine De Bolle, directrice d'Europol.

«Nous ne voyons pas pour l'instant de scission entre la mafia russe et la mafia ukrainienne», tranche-t-elle.

A Odessa, que ce soit avec les Russes ou non et, malgré les obstacles imposés par la guerre, les gangsters sont toujours à l'oeuvre. «Malgré tout, cela continue. Odessa reste Odessa», lance le contrebandier Kirim, en haussant légèrement les épaules.

ATS