Arménie/AzerbaïdjanErevan s'éloigne de Moscou, les premiers réfugiés arrivent en Arménie
ATS
24.9.2023 - 16:09
Un premier groupe de réfugiés fuyant le Nagorny Karabakh est entré dimanche en Arménie, qui a de son côté implicitement reproché à la Russie son manque de soutien dans la foulée de la victoire de l'armée azerbaïdjanaise contre les séparatistes de ce territoire en majorité peuplé d'Arméniens.
24.09.2023, 16:09
ATS
«Les systèmes de sécurité extérieure dans lesquels l'Arménie est impliquée se sont révélés inefficaces pour protéger sa sécurité et ses intérêts», a martelé le Premier ministre arménien Nikol Pachinian dans une intervention télévisée.
Une allusion aux relations de longue date qu'entretient ce pays du Caucase avec Moscou héritées de l'époque où il faisait partie, comme l'Azerbaïdjan voisin, de l'URSS. Car l'Arménie est encore membre de l'Organisation du traité de sécurité collective (OTSC), une alliance militaire chapeautée par la Russie.
Nouveau signe du fort impact international que continue à avoir cette nouvelle crise, le président turc Recep Tayyip Erdogan rencontrera lundi son homologue azerbaïdjanais Ilham Aliev dans l'enclave azerbaïdjanaise du Nakhitchevan, nichée entre l'Arménie et l'Iran.
Et une réunion prévue de longue date en Espagne le 5 octobre entre MM. Aliev et Pachinian est maintenue, selon les autorités arméniennes. Elle aura lieu à Grenade avec la participation du chef d'Etat français Emmanuel Macron, du chancelier allemand Olaf Scholz et du président du Conseil européen Charles Michel.
Premiers réfugiés
Dans l'après-midi, quelques dizaines d'habitants du Nagorny Karabakh, dont des femmes, des enfants et des personnes âgées, sont arrivés au centre d'accueil mis en place par le gouvernement arménien à Kornidzor, à la frontière arméno-azerbaïdjanaise.
Non loin de là, dans la ville arménienne de Goris, d'autres installations, équipées de trousses de premiers secours, de mégaphones et de dizaines d'ordinateurs, ont également été vues par l'AFP.
Les autorités du Nagorny Karabakh avaient peu avant annoncé que les civils laissés sans logement en raison des dernières violences seraient transférés en Arménie avec l'aide des soldats de maintien de la paix russes, présents sur place depuis la précédente guerre, en 2020.
L'Azerbaïdjan s'est quant à lui engagé à permettre aux rebelles qui rendraient leurs armes d'aller en Arménie.
Et c'est par le même poste-frontière de Kornidzor que 23 ambulances transportant des «citoyens grièvement blessés» accompagnés de médecins et d'employés de la Croix-Rouge doivent passer, a précisé le ministère arménien de la Santé.
Craintes d'une fuite massive
Un homme interrogé par l'AFP à Kornidzor a déclaré avoir fait partie de la «résistance» jusqu'à ce que l'assaut donné par l'Azerbaïdjan oblige les rebelles mercredi à capituler.
«Nos familles étaient dans les abris. On était dans l'armée mais hier on a dû déposer nos fusils. Alors on est partis», a dit ce villageois d'une trentaine d'années qui attendait avec d'autres de se faire enregistrer dans le centre d'accueil.
Beaucoup craignent à cet égard que la population locale ne fuie massivement, au moment où les forces azerbaïdjanaises resserrent leur emprise. Car outre l'angoisse qui règne parmi les quelque 120'000 habitants du Nagorny Karabakh, la situation humanitaire y demeure très tendue.
Encerclée par les troupes azerbaïdjanaises, sa «capitale», Stepanakert, est ainsi privée d'électricité et de carburant et sa population manque de nourriture et de médicaments, selon un correspondant de l'AFP.
Samedi, un premier convoi d'aide du Comité international de la Croix-Rouge (CICR) est néanmoins entré au Nagorny Karabakh, tandis que, de la tribune de l'ONU à New York, l'Arménie réclamait l'envoi «immédiat» d'une mission des Nations unies, réitérant ses accusations de «nettoyage ethnique».
Foule en colère
La tension est par ailleurs vive au poste-frontière de Kornidzor, où des dizaines d'Arméniens en colère cherchent à obtenir des nouvelles de leurs proches, a constaté l'AFP. Des rumeurs folles se sont propagées dans la foule et un homme a même à un moment sorti un couteau.
«Mon fils était dans l'armée dans l'Artsakh (le Nagorny Karabakh). Il est vivant mais je m'inquiète pour lui», raconte un homme de 43 ans.
Il dit «espérer que des groupes armés traverseront la frontière». «S'ils le font, j'irai avec eux pour sauver mon fils» de cette enclave montagneuse rattachée en 1921 par le pouvoir soviétique à l'Azerbaïdjan et qui a été par le passé le théâtre de deux guerres: l'une de 1988 à 1994 (30.000 morts) et l'autre à l'automne 2020 (6.500 morts).
Ils peuvent «s'en aller»
Illustration, côté azerbaïdjanais, des traces profondes laissées par l'histoire tourmentée de cette région, dans la bourgade de Beylagan, tout près du Nagorny Karabakh, une galerie de dizaines de portraits de personnes tuées il y a trois ans ou pendant le premier conflit, flanqués de drapeaux azerbaïdjanais, bordent l'artère principale.
«Je soutiens» l'opération en cours de Bakou pour reprendre le contrôle de ce territoire sécessionniste, «notre belle terre a été libérée», s'enflamme auprès d'une journaliste de l'AFP Famil Zalov, un agriculteur d'une cinquantaine d'années.
Interrogé sur une future cohabitation avec les Arméniens, il lâche aussitôt: «Je ne peux pas personnellement à cause de mon frère de 18 ans tombé en martyr en 1993, je ne peux pas accepter. Le président (Aliev) leur a montré le chemin, le couloir est ouvert, ils peuvent l'utiliser et s'en aller», poursuit-il.
«Je suis fier que mon frère ait obtenu sa vengeance», conclut-il.
Minaya Valieva est née en 1951. «Si vous creusez le sol de ces montagnes (...) vous trouverez des affaires, la veste en laine de notre grand-père, vous trouverez les peignes de notre grand-mère, mais vous ne trouverez rien qui appartienne aux Arméniens ou aux Russes», assure-t-elle.
Mais le conflit ne fait pas l'unanimité en Azerbaïdjan. «Cette semaine, cinq personnes ont été arrêtées en Azerbaïdjan pour des messages postés contre la guerre et quatre autres pour activisme politique», a signalé dimanche la militante azerbaïdjanaise des droits humains Jala Bayramova sur X (anciennement Twitter).
«Tous se sont vu infliger des peines allant de 30 jours d'emprisonnement à deux mois de détention préventive», a-t-elle souligné.