États-Unis divisés«Des femmes qui soutiennent Trump, cela ne va pas ensemble»
de Gil Bieler
11.9.2020
«Des femmes qui soutiennent Trump: cela ne va pas ensemble»
Mathias Braschler et Monika Fischer forment un couple de photographes vivant entre Wildegg – près de Lenzburg – et New York. Leur nouveau livre de photographies, intitulé «Divided We Stand», aborde les profondes divisions au sein de la société américaine. En voici quelques extraits.
Photo: Mathias Braschler/Monika Fischer
«Nous aimerions voir certains des dirigeants et leurs semblables commencer enfin à dire la vérité, la vraie vérité, et arrêter de jouer les uns contre les autres. Franklin L. et Frances K. Woodruff, de Louisville (Mississippi).
Photo: Mathias Braschler/Monika Fischer
«Souvent, il y a assez de nourriture pour mes enfants, mais pas pour moi. Je veille donc à ce qu’ils mangent et qu’ils n’aient plus faim. Alors je mange juste quelque chose de sucré ou autre chose, mais ça ne me rassasie pas.» Kristal Allen,photographiée en compagnie d’Aaliyah Hogan et ZyHara Bryant, de Hollandale (Mississippi).
Photo: Mathias Braschler/Monika Fischer
«Mon plus grand souhait pour ce pays serait que l’on revienne à la génération de nos grands-parents. […] Lorsqu’ils ont débarqué sur les plages de Normandie, ils l’ont fait non pas en tant que républicains ou démocrates, mais en tant qu’Américains.» Colt Cunningham, photographié en compagnie de Hadley Tate, de Cody (Wyoming).
Photo: Mathias Braschler/Monika Fischer
«Je vois ces prisonniers et j’essaie de les comprendre. Et lorsqu’ils commencent à parler de leur famille, on apprend tout ce qu’ils ont traversé dans leur vie.» Mike Lantis, photographié en compagnie de sa collègue Alesha Gibson, de Jackson (Michigan).
Photo: Mathias Braschler/Monika Fischer
«Et Dieu a envoyé [Donald] Trump pour une raison. Il n’y avait personne d’autre pour triompher et ne pas se laisser abattre, pour se battre pour les gens d’ici et défendre les petites gens.» Brenda Chalette, de Whitley City (Kentucky).
Photo: Mathias Braschler/Monika Fischer
«Tant que nous n’aurons pas surmonté toutes les injustices, tant que nous n’aurons pas atteint une certaine qualité de vie pour tous et tant que tout le monde ne sera pas réellement traité sur un pied d’égalité, il sera impossible de combler le fossé dans ce pays.» Katie Anderson, de Mobile (Alabama).
Photo: Mathias Braschler/Monika Fischer
«Le Texas, c’est chez moi. Je suis très fier de cet Etat. Très fier de ce que représente le Texas.» Don Jackson, de Johnson City (Texas).
Photo: Mathias Braschler/Monika Fischer
«Le plus grand problème de ce pays, c’est clairement les différences de richesse, qui entraînent la discrimination raciale […] Non, la discrimination raciale et les écarts de richesse sont inextricablement liés.» Siri Cortez, de Brooklyn (New York).
Photo: Mathias Braschler/Monika Fischer
«Tant qu’il y aura des Blancs, des indigènes et des Noirs, il y aura toujours du racisme quelque part. Quelque part dans le cœur des hommes. Ils ne nous aimeront pas.» Isabella Leah Yellowtail, de Sheridan (Wyoming).
Photo: Mathias Braschler/Monika Fischer
«J’aime me considérer comme un modèle. J’aimerais voir plus de femmes non seulement dans les rangs des pilotes, mais aussi dans les rangs des pilotes militaires et certainement dans ceux des pilotes de chasse.» Olivia S. Elliott, pilote de chasse, à la base aérienne Wright-Patterson à Dayton (Michigan).
Photo: Mathias Braschler/Monika Fischer
«Des femmes qui soutiennent Trump: cela ne va pas ensemble»
Mathias Braschler et Monika Fischer forment un couple de photographes vivant entre Wildegg – près de Lenzburg – et New York. Leur nouveau livre de photographies, intitulé «Divided We Stand», aborde les profondes divisions au sein de la société américaine. En voici quelques extraits.
Photo: Mathias Braschler/Monika Fischer
«Nous aimerions voir certains des dirigeants et leurs semblables commencer enfin à dire la vérité, la vraie vérité, et arrêter de jouer les uns contre les autres. Franklin L. et Frances K. Woodruff, de Louisville (Mississippi).
Photo: Mathias Braschler/Monika Fischer
«Souvent, il y a assez de nourriture pour mes enfants, mais pas pour moi. Je veille donc à ce qu’ils mangent et qu’ils n’aient plus faim. Alors je mange juste quelque chose de sucré ou autre chose, mais ça ne me rassasie pas.» Kristal Allen,photographiée en compagnie d’Aaliyah Hogan et ZyHara Bryant, de Hollandale (Mississippi).
Photo: Mathias Braschler/Monika Fischer
«Mon plus grand souhait pour ce pays serait que l’on revienne à la génération de nos grands-parents. […] Lorsqu’ils ont débarqué sur les plages de Normandie, ils l’ont fait non pas en tant que républicains ou démocrates, mais en tant qu’Américains.» Colt Cunningham, photographié en compagnie de Hadley Tate, de Cody (Wyoming).
Photo: Mathias Braschler/Monika Fischer
«Je vois ces prisonniers et j’essaie de les comprendre. Et lorsqu’ils commencent à parler de leur famille, on apprend tout ce qu’ils ont traversé dans leur vie.» Mike Lantis, photographié en compagnie de sa collègue Alesha Gibson, de Jackson (Michigan).
Photo: Mathias Braschler/Monika Fischer
«Et Dieu a envoyé [Donald] Trump pour une raison. Il n’y avait personne d’autre pour triompher et ne pas se laisser abattre, pour se battre pour les gens d’ici et défendre les petites gens.» Brenda Chalette, de Whitley City (Kentucky).
Photo: Mathias Braschler/Monika Fischer
«Tant que nous n’aurons pas surmonté toutes les injustices, tant que nous n’aurons pas atteint une certaine qualité de vie pour tous et tant que tout le monde ne sera pas réellement traité sur un pied d’égalité, il sera impossible de combler le fossé dans ce pays.» Katie Anderson, de Mobile (Alabama).
Photo: Mathias Braschler/Monika Fischer
«Le Texas, c’est chez moi. Je suis très fier de cet Etat. Très fier de ce que représente le Texas.» Don Jackson, de Johnson City (Texas).
Photo: Mathias Braschler/Monika Fischer
«Le plus grand problème de ce pays, c’est clairement les différences de richesse, qui entraînent la discrimination raciale […] Non, la discrimination raciale et les écarts de richesse sont inextricablement liés.» Siri Cortez, de Brooklyn (New York).
Photo: Mathias Braschler/Monika Fischer
«Tant qu’il y aura des Blancs, des indigènes et des Noirs, il y aura toujours du racisme quelque part. Quelque part dans le cœur des hommes. Ils ne nous aimeront pas.» Isabella Leah Yellowtail, de Sheridan (Wyoming).
Photo: Mathias Braschler/Monika Fischer
«J’aime me considérer comme un modèle. J’aimerais voir plus de femmes non seulement dans les rangs des pilotes, mais aussi dans les rangs des pilotes militaires et certainement dans ceux des pilotes de chasse.» Olivia S. Elliott, pilote de chasse, à la base aérienne Wright-Patterson à Dayton (Michigan).
Photo: Mathias Braschler/Monika Fischer
Les Etats-Unis d’Amérique? Sous le président Donald Trump, ils sont plutôt désunis. Les photographes suisses Mathias Braschler et Monika Fischer ont immortalisé les visages et les voix d’une nation divisée.
Des cas choquants de violences policières. Des protestations de masse et des pillages. Des citoyens armés qui tirent sur d’autres citoyens: les fossés qui se creusent au sein de la société américaine se manifestent clairement en ce moment même.
Mathias Braschler et Monika Fischer, un couple de photographes, se sont eux aussi penchés sur cette scission. Au volant d’un van qu’ils avaient transformé en camping-car équipé d’un studio photo, ils ont sillonné les Etats-Unis d’avril à août 2019. Le couple, qui vit et travaille entre Wildegg, près de Lenzburg, et New York, a parcouru près de 25 000 kilomètres à travers 40 des 50 Etats américains.
Ils ont dépeint «des Américains de tous horizons avec des opinions très différentes sur leur vie, la politique et leur pays» – comme l’indique le livre de photographies «Divided We Stand», publié récemment et composé à la suite de ce roadtrip. Le temps d’une interview, ils racontent sa genèse et livrent leurs impressions sur la situation actuelle aux Etats-Unis.
Mathias Braschler et Monika Fischer, vous avez rendu compte de la scission qui touche les Etats-Unis. Ce travail date de l’an dernier. L’ampleur de la violence que nous constatons actuellement vous a-t-elle surpris, vous aussi?
Mathias Braschler: Non, pas du tout. Cette scission est incroyablement profonde, on la ressent partout. J’avais aussi constaté très clairement le danger imminent de voir cela dégénérer dans la violence. Le pays est lourdement armé et Donald Trump intensifie encore cette scission – jusqu’au point extrême. Se présenter comme le président de «la loi et [de] l’ordre», c’est la seule chose qui pourra sauver sa peau. Un Amish dont nous avons fait le portrait a dit quelque chose qui me revient sans cesse ces jours-ci: «Depuis l’époque d’Abraham Lincoln, le danger de guerre civile aux Etats-Unis n’a jamais été aussi grand». Je lui donnais déjà raison à l’époque.
Monika Fischer: Depuis 1998, nous vivons entre les Etats-Unis et la Suisse, mais nous n’avons jamais connu une telle scission avant Donald Trump. Lorsque la pandémie de coronavirus a éclaté, je croyais encore que la société pouvait s’unir dans la mesure où tout le monde est concerné. Mais même là, Donald Trump a trouvé un moyen de semer la discorde.
Peut-il se faire réélire?
Mathias Braschler: Il y a quelques semaines encore, je pensais vraiment que c’était fini pour lui. Mais maintenant, il a trouvé une porte dérobée pour tenter de rester à la Maison-Blanche malgré tout.
Monika Fischer: Lorsque nous sommes revenus de notre roadtrip, j’étais convaincue à 100% qu’il serait réélu. Nous avons rencontré beaucoup de partisans du président dans l’arrière-pays. Ils le trouvent – pour le dire poliment – horrible en tant que personne, mais ils soutiennent tout de même sa politique. Souvent parce qu’une seule de ses positions politiques correspond à leurs convictions.
Combien de temps par an passez-vous aux Etats-Unis?
Monika Fischer: Environ un tiers de l’année. Curieusement, nous venons de quitter notre logement à New York – mais toutes nos affaires y sont entreposées. Nous pouvons donc y retourner à tout moment.
Vivez-vous dans une bulle à New York?
Mathias Braschler: Dans une certaine mesure, oui. Mais je pense que ce n’est pas très différent en Suisse et que c’est un phénomène de notre temps. Le jour des élections en 2016, nous étions à New York avec des amis et nous n’arrivions pas à y croire. Tout le monde à New York a ressenti la même chose. De ce fait, oui, nous étions dans une bulle et nous sommes entrés brutalement dans ce monde lorsque Donald Trump a été élu.
«La grande spontanéité des Américains nous a aidés»
Puis vous êtes allés à la campagne. Vous avez dressé des portraits de personnes d’horizons très différents. Comment avez-vous trouvé vos protagonistes?
Monika Fischer: Souvent, nous passions avec notre van dans une bourgade ou un endroit captivant, puis nous nous arrêtions et nous installions notre matériel. Ensuite, nous demandions aux gens s’ils voulaient bien participer et se faire photographier et interviewer. C’était donc tout à fait spontané. Nous avons trouvé la plupart des gens de cette façon, sur notre chemin.
Mathias Braschler: Et nous avons emprunté presque uniquement des routes de campagne. On passait devant des patelins, on s’arrêtait et on cherchait un bon endroit. Il suffisait d’être ouvert. Et très peu de gens nous ont répondu «Non». Ce serait plus difficile en Suisse. La grande spontanéité des Américains nous a donc aidés.
Sur la couverture du livre, on voit un homme barbu en combinaison. Quelle est son histoire?
Mathias Braschler: Nous l’avons rencontré à Youngstown, dans l’Ohio. C’était autrefois l’une des grandes villes sidérurgiques du pays. Bruce Springsteen a également dédié une chanson à la ville. Mais sur le plan économique, tout s’est écroulé, il n’y a presque plus d’emplois dans l’industrie. Pour nous, les choses étaient donc claires: nous voulions y dresser le portrait d’un sidérurgiste. C’en est un – et il se souvient encore de ce qu’il y avait avant. Il a expliqué qu’on avait promis aux travailleurs qu’ils retrouveraient leur emploi, mais il n’en fut rien.
Avez-vous également croisé des idées racistes au cours de vos recherches?
Mathias Braschler: Pas de manière explicite. Mais de façon sous-jacente. Nous avons par exemple photographié un couple qui a posé avec un drapeau confédéré et un fusil de la guerre de Sécession. Tous deux sont actifs dans des organisations situées très à droite. Mais ils étaient bien formés de manière à ne rien dire de raciste…
Monika Fischer: … Ils n’ont rien dit contre les Noirs, mais il était évident que c’était un effort de leur part.
Mathias Braschler: Mais quand on regarde la photo, tout est clair, en réalité. Ce racisme subliminal est très répandu aux Etats-Unis, c’est pourquoi ce genre de projet s’inscrit dans ce cadre.
Monika Fischer: Ceux qui parlent explicitement du racisme sont principalement des Noirs qui font état de leurs expériences quotidiennes. Comme par exemple ces deux adolescents qui ont raconté qu’ils se faisaient souvent interpeller par la police à cause de leur couleur de peau. Mais il y a également des Blancs gênés par cette inégalité qui se sont exprimés.
Mathias Braschler: Une Crow nous a dit que tant qu’il y aura des gens de différentes couleurs, il y aura du racisme. En tant que membre de la communauté amérindienne, elle a expliqué que l’image que les gens avaient d’elle était extrêmement négative – et qu’il était donc difficile pour elle ou son frère de bénéficier de chances équitables.
«Lorsque l’on observe la politique économique de Donald Trump, il est évident qu’elle profite à ceux qui ont de l’argent»
Revenons aux partisans de Donald Trump: quelle attitude vous a particulièrement surpris?
Mathias Braschler: Le fait que tant de gens de la classe ouvrière le soutiennent, alors même que sa politique ne leur est d’aucune utilité. Lorsque l’on observe la politique économique de Donald Trump, il est évident qu’elle profite à ceux qui ont de l’argent. Et pourtant, les ouvriers le soutiennent, ce qui nous a grandement surpris.
Monika Fischer: Les femmes qui soutiennent Donald Trump. Cela ne va pas ensemble, vu la façon dont il traite les femmes et dont il parle d’elles. C’était incompréhensible à nos yeux et pourtant, nous en avons sans cesse rencontré. Nous avons par exemple pris une photo de Brenda, la main sur son arme. Elle dit qu’elle se lève à 4 heures du matin et qu’elle regarde Fox News jusqu’à 9 heures. Elle croit que nous vivons un combat entre Dieu et le diable – et que Donald Trump est envoyé par Dieu.
Joe Biden peut-il galvaniser les gens comme le fait Donald Trump?
Mathias Braschler: Il n’en est aucunement capable, mais c’est aussi sa grande force, selon moi. L’issue du scrutin dépend des électeurs du centre – un petit groupe dans un faible nombre de swing states décisifs. Ce sont des électeurs qui sont assez pragmatiques. Parce que ces gens en ont assez de l’extrémisme politique. Ils veulent avoir enfin du calme, désormais. Biden est ennuyeux, mais il ne rebute pas les électeurs du centre. C’est aussi pourquoi je pense que Donald Trump finira par perdre.
Références bibliographiques:Mathias Braschler/Monika Fischer: Divided We Stand. Hartmann Books, 160 pages, env. 53 francs, ISBN 978-3-96070-048-7.