Les critiques fusent La France est-elle «trop gentille» face aux actions des agriculteurs?

ATS

26.1.2024 - 07:55

Refus du gouvernement d'empêcher les blocages routiers, explosion dans un bâtiment public sans réaction au sommet de l'État: alors que les agriculteurs multiplient les actions violentes, des critiques s'élèvent sur la mansuétude des autorités à leur égard.

Alors que les agriculteurs multiplient les actions violentes, des critiques s'élèvent sur la mansuétude des autorités à leur égard.
Alors que les agriculteurs multiplient les actions violentes, des critiques s'élèvent sur la mansuétude des autorités à leur égard.
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Keystone-SDA

Les actions d'exploitants agricoles en colère sont montées d'un cran ces derniers jours, avec notamment des pneus incendiés devant la préfecture d'Agen mercredi devant des policiers CRS impassibles.

A Carcassonne, c'est un immeuble de la direction régionale de l'environnement de l'aménagement et du logement (DREAL), vide et en travaux, qui a été soufflé par une explosion, dont les dégâts ont été découverts le 19 janvier au matin. Un tag du comité d'action viticole (CAV) a été retrouvé sur place. Ces violences n'ont pour l'instant pas été condamnées par le gouvernement.

Il n'est «pas question» d'empêcher les blocages, a souligné mercredi la porte-parole du gouvernement Prisca Thevenot, affirmant qu'ils étaient «organisés dans un cadre légal», en dépit du délit d'entrave à la circulation.

«Pas nouveau»

Le ministre français de l'intérieur Gérald Darmanin a donné mercredi soir des consignes de «grande modération» aux préfets. «On n'envoie pas les CRS sur des gens qui souffrent», avait insisté lundi auprès de l'AFP l'entourage du ministre, vivement critiqué en mars 2023 pour avoir qualifié «d'écoterroristes» les participants à la violente manifestation contre les bassines de Sainte-Soline.

«Les écologistes feraient le millième de ce qu'il se passe aujourd'hui, ils seraient en prison et condamnés», s'est ainsi indigné mercredi le sénateur EELV Yannick Jadot.

«Il y a toujours eu une forme de mansuétude de la part des puissances politiques à l'égard des agriculteurs», note le sondeur Jean-Daniel Levy, directeur délégué d'Harris Interactive. «Ce n'est pas nouveau et ce n'est pas spécifique à ce gouvernement», ajoute-t-il en citant l'envahissement du bureau de la ministre de l'environnement Dominique Voynet en 1999, qui n'avait pas entraîné d'importantes «répercussions».

Mercredi, le blocage de l'autoroute A13 dans l'Eure par une vingtaine de tracteurs a fait réagir Nicolas Hervieu, professeur de droit public.

Soulèvements de la Terre

«Il y a 8 mois, le blocage de la même autoroute avait suscité une réaction très différente», a-t-il relevé sur le réseau social X (ex-Twitter), en rappelant que le préfet avait «fustigé une 'action irresponsable' des Soulèvements de la Terre, saisi le parquet et utilisé des drones». «En janvier 2024, rien», ironise le juriste.

Les militants écologistes «avaient envahi l'A13 par surprise [...] en pleine circulation et à une heure de trafic intense», mettant «en danger leurs vies et celle des automobilistes», s'est justifiée auprès de l'AFP la préfecture de l'Eure.

Les agriculteurs, eux, n'ont investi l'autoroute «qu'après la mise en oeuvre de mesures de sécurisation», en lien avec la gendarmerie, a-t-elle ajouté. Les manifestations des agriculteurs sont en général «organisées, préparées, encadrées», avec «des interlocuteurs» souvent en lien par ailleurs avec policiers ou gendarmes locaux, abonde un haut cadre du ministère de l'intérieur.

En outre, «que peuvent faire les policiers ou les gendarmes contre 50 tracteurs à part sécuriser la manifestation et mettre en place une déviation?», souligne ce même cadre.

«Une population qui vote»

Mais, si le pouvoir politique décide de mettre fin au blocage, les agriculteurs «finissent par partir quand ils voient arriver une dépanneuse», pour ne pas risquer que leur tracteur, outil de travail, soit endommagé, ajoute-t-il encore.

Par ailleurs, les agriculteurs ne «font pas de faute» dans leurs actions pour l'instant, estime une source policière. «Ce sont des opérations de visibilisation, de communication, avec des péages gratuits, neutralisations des radars automatiques, les blocages se font dans de bonnes conditions».

De quoi permettre à ce mouvement, qui touche «au-delà des agriculteurs» sur le thème de la «ruralité délaissée», de garder une dimension «populaire» à ce stade, selon cette source.

«Les agriculteurs sont la population professionnelle qui vote le plus», rappelle aussi le politologue Xavier Crettiez. «Une population qui vote est une population qu'on va beaucoup plus écouter, moins malmener», ajoute-t-il.

Ce choix politique est également bien vu dans les rangs des forces de l'ordre où les agriculteurs bénéficient, comme dans le reste du pays, d'un capital de sympathie. «Il y a une forme de respect dans l'expression de la colère des agriculteurs. Tout le monde sait qu'ils bossent beaucoup. On ne doit pas les traiter comme des délinquants», dit à l'AFP l'ex-CRS Grégory Joron, du syndicat Unité-SGP.