Concurrence pour les Anonymous «Faire bonne figure»: le Joker, nouveau symbole de protestation?

Johannes Schmitt-Tegge, dpa

19.11.2019

Le visage de cette manifestante à Beyrouth est peint aux couleurs du drapeau libanais.
Le visage de cette manifestante à Beyrouth est peint aux couleurs du drapeau libanais.
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Partout dans le monde, des manifestants portent le masque du conspirateur britannique Guy Fawkes. Inspiré d’un film sorti au cinéma, le  Joker, un méchant de comics, accompagne désormais au Liban et ailleurs les mouvements contestataires. Profil psychologique d’un anti-héros aux cheveux verts et au visage de clown.

Le nouveau film «Joker» comporte une scène clé, celle dans laquelle Arthur Fleck, un comique humilié et marginalisé, déclare définitivement la guerre à la classe dirigeante. Grimé en clown, les cheveux teints en vert et vêtu d’un costume rouge vif, Arthur Fleck (Joaquin Phoenix) danse en descendant un escalier au rythme des percussions.

Le désespoir d’Arthur Fleck face à la situation à Gotham City se transforme en colère, en délire et en fantasmes violents; l’impotent devient alors pyromane. Peu de temps après, le chaos éclate à Gotham City.

Aujourd’hui, le méchant de comics semble être passé du grand écran aux rues du Moyen-Orient et d’Amérique du Sud. Au Liban, où le gouvernement vacille après des semaines de protestations de masse, les manifestants se griment en Joker.

En Irak, des activistes ont représenté le Joker dans un photomontage entre des barricades en feu et des drapeaux irakiens. Même lors des récentes manifestations en Bolivie et au Chili, des manifestants déguisés en Joker ont continué d’apparaître.

«Nous sommes tous le Joker»

Les masques à moustache souriants du conspirateur britannique Guy Fawkes sont encore plus répandus lorsqu’il s’agit de protester avec des masques. Néanmoins, le Joker, en tant que nouveau symbole, semble désormais mieux s’intégrer au tableau pour certains.

«Beyrouth est en train de devenir la nouvelle Gotham City, pleine de corruption et de gens qui volent de l’argent», affirme Omar, un artiste qui forme avec son frère jumeau Mohamed le duo de street art libanais Ashekman.

Les deux hommes ont travaillé sur leur nouvelle fresque murale dans le centre de Beyrouth jusque tard vendredi soir. On y voit le Joker, avec les cheveux verts et un cocktail Molotov enflammé dans la main. «Nous sommes tous le Joker», explique Omar à la Deutsche Presse-Agentur. «D’une certaine façon, tout le monde a quelque chose en commun avec lui.»

Des manifestants grimés entonnent des slogans lors d’une manifestation à Beyrouth. Face aux vives protestations contre le gouvernement, un grand nombre de commerces et d’écoles sont restés fermés.
Des manifestants grimés entonnent des slogans lors d’une manifestation à Beyrouth. Face aux vives protestations contre le gouvernement, un grand nombre de commerces et d’écoles sont restés fermés.
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Du moins, c’est peut-être le cas pour ceux chez qui l’exaspération monte lentement mais sûrement face aux dérives observées dans leur pays – en raison d’un nombre trop faible d’emplois, de trop grandes inégalités sociales ou d’un gaspillage trop effronté de l’argent public par l’élite politique.

«Hong Kong a besoin d’un Joker», a-t-on pu lire sur Twitter en octobre, en référence aux protestations contre le gouvernement hongkongais et l’influence croissante des dirigeants de Pékin.

«Le Joker représente la liberté ultime», explique Rob Weiner, de l’université Texas Tech, aux Etats-Unis. Rob Weiner a écrit ou co-écrit plus d’une douzaine de livres sur les romans graphiques, les comics et les super-héros.

«Le Joker n’est limité par aucun sens de la moralité ou de l’honneur ni par aucune coutume sociale», explique Rob Weiner à propos de celui qu’il considère comme le méchant de comics le plus populaire. «Il est le Surhomme de [Friedrich] Nietzsche parce qu’il se tient au-dessus de la morale et au-delà de toute notion du bien et du mal.» Comme dans les jeux de cartes, le joker peut être utilisé au gré des joueurs, explique-t-il – on ne sait jamais ce qu’il va faire ensuite.

Pas une incitation au chaos et à l’anarchie

Ainsi, le seuil de la violence criminelle, comme chez l’extrémiste catholique Guy Fawkes qui, en 1605, a voulu faire exploser le roi britannique Jacques Ier avec de la poudre à canon, est rapidement franchi.

A de nombreuses reprises, des criminels se sont déguisés en Joker ou se sont inspirés du personnage et des films précédents dans lesquels le Joker apparaît – de l’adolescent qui a poignardé sa camarade de classe avec un couteau de cuisine à Berlin en 2018 au forcené qui a tué deux policiers et une autre personne avec sa compagne à Las Vegas en 2014.

Un homme portant un masque du Joker participe à une manifestation en faveur de réformes sociales à Valparaíso, au Chili. Depuis plusieurs semaines, le Chili est secoué par de vives protestations contre le coût élevé de la vie et les inégalités sociales.
Un homme portant un masque du Joker participe à une manifestation en faveur de réformes sociales à Valparaíso, au Chili. Depuis plusieurs semaines, le Chili est secoué par de vives protestations contre le coût élevé de la vie et les inégalités sociales.
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Pour Omar, l’artiste, il n’était pas question de semer le chaos et l’anarchie au Liban. «On ne demande pas aux gens de détruire des immeubles et de jeter des cocktails Molotov.» Au Chili, la mascarade – qu’il s’agisse du Joker, de Guy Fawkes ou de Winnie l’ourson – devrait prendre fin avec une série d’initiatives législatives prises par mesure de sûreté.

L’interdiction vise à empêcher les manifestants de dissimuler leur visage avec des masques ou d’autres moyens. A Hong Kong, le gouvernement avait déjà interdit le port de masques début octobre.

La société cinématographique Warner Bros. s’était montrée claire avant la première de «Joker»: «Ni le personnage fictif du "Joker", ni le film ne sont une approbation d’une quelconque forme de violence réelle.» Il est fort possible que le clown maléfique disparaisse lorsque la hype autour du film sera retombée.

En fin de compte, il ne constitue même pas un symbole pour des protestations politiques, indique Rob Weiner: après tout, concède-t-il, c’est un «dangereux psychopathe» qui est à l’œuvre ici. «Le Joker n’est qu’un personnage de comics. On est toujours responsable de ses propres actes.»

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