Serbie«Farine» et «stabilité»: élections dans l'ombre de la guerre
ATS
1.4.2022 - 10:59
La guerre fait rage en Europe et le président populiste de la Serbie Aleksandar Vucic promet la stabilité avant les élections de dimanche. Celles-ci se déroulent dans l'ombre du conflit en Ukraine.
Keystone-SDA
01.04.2022, 10:59
ATS
Après une décennie de pouvoir, le parti de centre-droit (SNS) du chef de l'Etat devrait confirmer sa mainmise sur le Parlement tandis que le président lui-même semble en pole position pour un second mandat, selon les derniers sondages. En plus de ses 250 députés et de son chef de l'Etat, le pays de près de sept millions d'habitants élira plusieurs conseils municipaux.
L'invasion de l'Ukraine par la Russie fin février a changé le cours de la campagne qui aurait dû selon les commentateurs se concentrer sur l'environnement, la corruption et les droits. Mais Aleksandar Vucic, accusé d'autoritarisme par ses contempteurs, s'est emparé de la guerre à son avantage.
Il souffle sur les craintes d'instabilité et se présente comme le seul capitaine capable de tenir la barre par temps d'orage. «Voici de la farine, voici le sel qui a été livré hier, les hangars sont pleins. Voici des petits pois», a-t-il lancé à la télévision en vantant les réserves alimentaires de la Serbie en pleine crise inflationniste. A mi-campagne, le sortant a inventé un nouveau slogan: «Paix. Stabilité. Vucic».
Taxé de «pompeux» par ses critiques, le gouvernement distille des messages «soigneusement calibrés pour les électeurs», explique à l'AFP Zoran Stojiljkovic, professeur de sciences politiques à Belgrade.
Dans un pays considéré jadis comme un paria, les souvenir des guerres qui ont consacré la désintégration sanglante de l'ex-Yougoslavie et des sanctions économiques ayant durement frappé la classe moyenne restent vivaces.
«Incertitude et peur»
Par gros temps, les gens préfèrent un leader qui leur promet de la stabilité plutôt que risquer le changement, poursuit Zoran Stojiljkovic. «Les grandes crises, au moins à court terme, favorisent toujours ceux qui sont déjà au pouvoir. Elles génèrent de l'incertitude, de la peur et l'espoir que le système garantira au moins la sécurité de base».
Il y a seulement quelques mois, l'opposition semblait avoir réussi une percée. En janvier, Aleksandar Vucic a annulé un projet controversé de mine de lithium qui avait précipité des dizaines de milliers de protestataires dans la rue. Un revirement surprenant pour un homme rarement contraint au rétropédalage durant sa décennie aux commandes, comme Premier ministre adjoint, Premier ministre ou président.
S'il est donné favori, l'opposition espère néanmoins qu'un fort taux de participation déclenchera un second tour. Selon les derniers sondages, le principal rival d'Aleksandar Vucic serait le général à la retraite Zdravko Ponos, candidat surprise présenté par le camp pro-européen de l'opposition.
«Il ne s'agit pas de savoir si l'opposition aura quelques sièges de plus mais si la Serbie existera en tant que pays démocratique et européen si (Vucic) reste au pouvoir encore cinq ans», déclare-t-il à l'AFP. Mais pour les analystes, l'opposition n'a guère de chance de le détrôner ou de bouleverser la composition du Parlement sortant, acquis quasi entièrement à une coalition pro-Vucic.
Ovni
La guerre a «changé les priorités des électeurs» et l'opposition pâtit de la situation «sans pouvoir s'adapter aux nouvelles circonstances», juge Bojan Klacar, chef du CESID, organisme indépendant de surveillance des scrutins.
La Serbie, où de nombreux habitants soutiennent la guerre du Kremlin, fait figure d'ovni en Europe. Certains partis d'opposition partagent ces vues prorusses. Ceux qui ne les partagent pas n'osent pas ouvrir la bouche de peur de déplaire aux électeurs pro-Moscou.
Aleksandar Vucic se présente aux élections armé d'autres avantages. Durant son long règne, il a resserré son emprise sur tous les niveaux du pouvoir, y compris un contrôle de facto des institutions et de la quasi totalité des médias.
D'après une récente enquête du sondeur Demostat, 43% des Serbes ne pensent pas que les élections seront libres. Dans les mois précédant la campagne, le président du pays où le salaire moyen est de 600 euros a distribué des aides, y compris deux paiements de 100 euros pour les 16-29 ans. «C'est acheter l'électorat (...) aux frais du contribuable», déclare le stratège en communication Igor Avzner.
Mais beaucoup de jeunes restent apathiques. «Honnêtement, je pense que Vucic va gagner malgré le fait que beaucoup de gens soient contre lui», soupire Una Ignjatovic, 18 ans, une habitante de Belgrade. «J'ai bien peur qu'il n'y ait personne d'autre pour représenter une alternative».