Massacres au Rwanda «Ils dormaient tranquillement au-dessus de corps...»

AFP

31.1.2024

Avec pelles, houes et râteaux, des habitants du village de Ngoma retournent la terre, révélant crânes, os et fragments de vêtements: 30 ans après le génocide des Tutsi, les Rwandais retrouvent toujours régulièrement des restes de victimes des massacres de 1994.

30 ans après le génocide des Tutsi, les Rwandais retrouvent toujours régulièrement des restes de victimes des massacres.
30 ans après le génocide des Tutsi, les Rwandais retrouvent toujours régulièrement des restes de victimes des massacres.
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Ils sont une centaine, le visage couvert de masques hygiéniques, à s'activer sur le flanc d'une colline de cette bourgade du sud du pays.

Au fil de leurs recherches, des os - entiers ou en morceaux - affleurent de la terre ocre. Une fois retirés du sol, ils sont disposés sur une bâche ou stockés dans des sacs poubelle. «Au fur et à mesure qu'on creuse, on trouve de nouvelles couches contenant des restes», souligne le maire adjoint du district de Huye, André Kamana.

A l’issue d’une semaine de fouilles, un total de 210 corps ont été découverts, a indiqué lundi à l’AFP un responsable au sein de l'association Ibuka, principale organisation de rescapés du génocide.

Et dans le même village, de nouvelles fouilles ont débuté lundi dans une plantation de bananiers voisine. Les restes de 35 personnes y ont jusqu’ici étaient retrouvés. «Nous poursuivrons les recherches ici également, jusqu’à ce que nous soyons assurés que tous les restes ont pu être exhumés», a précisé à l’AFP Goreth Uwonkunda, une habitante de Ngoma qui participe aux recherches.

Pays de la région des Grands Lacs, le Rwanda a été le théâtre du dernier génocide du XXe siècle. En une centaine de jours entre avril et juillet 1994, 800.000 personnes, essentiellement de la minorité tutsi, ont été massacrées à l'instigation du régime extrémiste hutu alors au pouvoir, selon les chiffres de l'ONU.

«Pendant le génocide, il y avait un barrage routier à proximité, où les Tutsi ont été arrêtés et tués», explique Goreth Uwonkunda, 52 ans, et qui a toujours vécu dans ce village.

«C'est clairement l'une des fosses communes où ils ont été jetés», a-t-elle déclaré à l’AFP en référence au premier site où les 210 corps ont été découverts. «Les tueurs ont enterré leurs victimes les unes sur les autres. Nous avons trouvé de gros os, certains intacts, voire des crânes entiers», poursuit-elle.

«Secret de famille»

Le charnier, dont l'ampleur est pour l'instant inconnue, se trouve sur l'emplacement d'une maison, qui a été démolie pour permettre les recherches. Cinq de ses occupants ont été arrêtés et font l'objet d'une enquête pour complicité de génocide et dissimulation de preuves.

«L'enquête a débuté en octobre, lorsqu'un lanceur d'alerte a informé les autorités qu'il pourrait y avoir une fosse commune sous la maison. On soupçonne que ceux qui vivaient dans la maison savaient ce qu'il y avait dessous, que c'était un secret de famille», explique à l’AFP Napthali Ahishakiye, le président de l’association Ibuka.

Goreth Uwonkunda n'en revient toujours pas. «Je connaissais les gens qui vivaient dans cette maison et je suis assez choquée de savoir qu'ils dormaient tranquillement au-dessus de corps. C'est honteux et choquant».

La découverte de restes de victimes des massacres de 1994 n'est pas rare. Chaque année, des fosses communes sont mises au jour à travers le pays, rappelant l'ampleur du génocide.

En avril dernier, dans le district de Rusizi (ouest), 1.100 corps ont été découverts dans des fosses communes situées sur une plantation appartenant à une paroisse catholique.

Trois ans plus tôt, en avril 2020, un charnier contenant pas moins de 30.000 corps avait été exhumé à proximité d'un barrage près de la capitale Kigali. Six mois plus tard, 5.000 corps avaient été découverts dans le district de Gatsibo (est). Selon Ibuka, les restes de plus de 100.000 victimes ont été découverts ces cinq dernières années et inhumés dans des lieux de mémoire.

Tissu, chaussures

«Nous soupçonnons que des charniers similaires restent à découvrir à travers le pays», poursuit Napthali Ahishakiye.

«Le plus grand défi est que la plupart des informations cruciales sur l'emplacement de ces charniers sont détenues par des personnes qui ont participé aux massacres, ou par des proches des tueurs, et sont réticents à révéler ces informations», souligne-t-il.

A Ngoma, Célestin Kambanda observe les recherches, guettant un signe familier parmi les morceaux de tissu ou les chaussures exhumés. Cet agriculteur de 70 ans a perdu sept enfants durant le génocide. «Je n'ai jamais retrouvé les restes d'aucun d'entre eux», soupire-t-il. «Je suis venu pour voir si je pouvais reconnaître certains de mes enfants, peut-être grâce aux vêtements qu'ils portaient quand ils ont disparu. (...) J'espère leur offrir un jour un enterrement décent».