«Fake news»Invasion ou non, la guerre russe de l'information fait rage
ATS
22.2.2022 - 07:52
«Es-tu prêt?»: Le reporter russe hoche la tête. Les balles se mettent opportunément à siffler au loin. Le journaliste en gilet pare-balles court et explique hors d'haleine qu'il assiste en direct à une action de «sabotage» contre une position pro-russe dans l'est de l'Ukraine.
22.02.2022, 07:52
ATS
«La propagande russe à l'oeuvre sous vos yeux», explique une chaîne Telegram, qui suit les événements en Ukraine, publiant un clip vidéo pour démontrer que le reportage est une mise en scène. Dans la «guerre hybride» que livre Moscou à son voisin depuis huit ans, la bataille de l'information constitue un front clé. Ici, tous les coups sont permis, y compris les manipulations les plus grossières.
Et la campagne de désinformation s'est accélérée avec le déploiement de 150'000 soldats russes massés aux frontières est et nord de l'Ukraine.
Les Occidentaux comme les Ukrainiens craignent d'ailleurs qu'elle soit utilisée pour permettre la création d'un prétexte en vue d'une offensive russe, d'autant que Moscou crie au génocide des russophones en Ukraine.
Diaspora russe visée
Pour Serguiy Kvit, ancien ministre ukrainien de l'éducation et directeur de l'école de journalisme Mohyla à Kiev, «la plupart de ces 'fake news' ciblent surtout la diaspora russe» de l'Ukraine. Cette stratégie vise à préparer l'opinion publique, à l'intérieur comme à l'extérieur, au déclenchement d'un conflit de très grande ampleur, poursuit-il.
Mais ces opérations russes sur la toile font l'objet d'une intense contre-offensive. Avec des outils de vérification en ligne, permettant d'authentifier une image, de comparer des cartes ou d'extraire des données, une armée auto-proclamée de «réinformateurs» est aussi à l'oeuvre.
Vendredi dernier, il n'aura fallu que quelques heures pour que l'inquiétante vidéo mise en ligne par le dirigeant séparatiste Denis Pouchiline, dans laquelle il ordonnait l'évacuation le jour même, «le vendredi 18 février», de la population de la région de Donetsk vers la Russie, perde en crédibilité.
Les métadonnées du fichier vidéo original ont parlé: la vidéo avait été pré-enregistrée deux jours auparavant, soit le 16 février. «Ce qui s'est passé ce jour-là était clairement et indubitablement mis en scène», résume le journaliste d'investigation Mark Krutov sur Twitter.
Propagande des deux côtés
Chez Bellingcat, plateforme spécialisée dans l'enquête avec des outils numériques et qui a disséqué des opérations présumées des renseignements russes comme les empoisonnements de l'agent double Sergueï Skripal ou celui de l'opposant Alexeï Navalny, les dernières semaines ont été consacrées à déminer le terrain virtuel du conflit autour de l'Ukraine.
Son dernier coup, le «debunkage» d'un attentat contre la voiture d'un chef de police séparatiste. La télévision d'Etat russe avait diffusé la prétendue confession d'un «agent ukrainien» impliqué et repris l'image d'une carcasse de voiture sur laquelle on pouvait voir la plaque d'immatriculation dudit responsable policier.
La plaque était la bonne. Mais, d'après les analystes du site Bellingcat, elle avait été décrochée du rutilant véhicule tout-terrain du chef séparatiste pour les besoins de la photographie.
Côté ukrainien, les médias et réseaux sociaux ne sont pas exempts d'arrangements avec la vérité, comme, lorsque sont diffusées des images montrant des manifestations à Moscou contre la guerre. Celles-ci dataient de 2014.
Guerre des nerfs
Sur ce front de l'information, Moscou a déjà fait de premières victimes. Le bombardement médiatique anxiogène a des effets ravageurs sur la santé mentale des Ukrainiens, relève la psychologue Katerina Goltsberg, présidente de l'association de pédopsychologie du pays.
«Au cours des deux derniers mois, nous avons atteint un niveau de panique particulièrement élevé. C'est probablement lié à l'intensification de ces attaques médiatiques», analyse-t-elle. «Les gens sont vraiment très inquiets [...] pour eux-mêmes, leurs enfants, leurs proches», ajoute la psychologue.
La population ukrainienne a déjà intégré le scenario possible d'une guerre à grande échelle et multiplie les préparatifs, des plans d'évacuation au stockage de denrées élémentaires. Elle sait aussi que cette guerre des nerfs ne fait peut-être que commencer.
«Une menace existentielle avec laquelle il faudra vivre pour les prochains mois, si ce n'est les prochaines années», résumait un éditorialiste du site ukrainien Pravda.