Des affinités mais... Javier Milei, un «mini-Trump» ou juste un air de famille?

ATS

23.11.2023 - 07:48

Offensif, agressif, voire insultant, venant de la droite radicale avec un discours «anti-establishment» et des thèmes libéraux: le président élu argentin Javier Milei est parfois comparé à un «mini-Trump» ou à un «Trump de la pampa», en référence à l'ancien président américain. Mais à y regarder de près, les dissemblances l'emportent sur les similitudes.

epa10985528 Argentine president-elect Javier Milei gives a speech after winning in the runoff election, in Buenos Aires, Argentina, 19 November 2023. Milei, candidate for far-right party La Libertad Avanza, defeated the ruling party's candidate Sergio Massa and will be the next president of Argentina effective December 10. EPA/Juan Ignacio Roncoroni
epa10985528 Argentine president-elect Javier Milei gives a speech after winning in the runoff election, in Buenos Aires, Argentina, 19 November 2023. Milei, candidate for far-right party La Libertad Avanza, defeated the ruling party's candidate Sergio Massa and will be the next president of Argentina effective December 10. EPA/Juan Ignacio Roncoroni
KEYSTONE

Les deux hommes affichent des parcours, des origines et des conditions d'émergence distinctes, même si les chaleureuses félicitations à M. Milei de M. Trump trahissent un «air de famille», ou, du moins, des affinités.

Javier Milei, comme Donald Trump, évoque fréquemment le thème de la «grandeur retrouvée», en référence à «l'âge d'or» (environ 1870-1930) où l'Argentine, riche «grenier du monde», était «une puissance mondiale», «terre promise» d'immigration massive.

«Très fier de toi [...] Tu vas faire de l'Argentine à nouveau un grand pays», a lancé dimanche l'ex-président américain Donald Trump dans son message de félicitations. Mais s'il rêve, grâce aux réformes libérales, de ramener l'Argentine «au niveau des Etats-Unis en 35 ans», le summum de la réussite, pour M. Milei, c'est plutôt l'Irlande «d'ici à 40 ans».

Libéral

Dans les faits, ses références sont très argentines: il cite souvent un des pères de la constitution, le théoricien libéral (1810-1884) Juan Bautista Alberdi ou alors des économistes néo-libéraux de l'«École de Chicago» ou le libertarien Murray Rothbard (en référence duquel il a baptisé ses quatre chiens).

En politique, M. Milei cite comme références l'ancien président américain Ronald Reagan et la première ministre britannique Margaret Thatcher, s'ancrant dans la «révolution conservatrice» des années 1980.

De fait, économiquement, Javier Milei, partisan d'une ouverture des marchés tous azimuts «est un libertarien, tandis que Trump en est aussi éloigné que possible», avec sa fibre protectionniste et de défense d'une industrie nationale américaine, estime Michael Shifter, économiste du groupe de réflexion Inter-American Dialogue à Washington. Donald Trump est dans la «transaction»; Javier Milei est davantage «un idéologue», image-t-il.

Pas du même monde

M. Milei fait rarement mention à l'ex-président américain (2017-2021) Donald Trump. La dernière fois en septembre à la TV américaine, il avait salué en termes généraux chez Trump «la défense des idées de liberté» et «la lutte contre le socialisme».

Javier Milei s'est bâti une notoriété sur les plateaux télévisés, où il était depuis 6 à 7 ans un panéliste prisé, provocateur, avec «buzz» et audience assurés. M. Trump était aussi un visage familier avec ses émissions de téléréalité, avant de se lancer en politique.

Le parallèle s'arrête là. Donald Trump est avant tout un homme d'affaires, milliardaire, qui a fait fortune dans l'immobilier comme son père. Javier Milei est issu de la classe moyenne. Son père était chauffeur de bus qui créa sa PME de transports.

Et il s'est façonné dans le monde universitaire, professeur d'économie sans notoriété particulière, mais très fier de son titre d'"économiste». Avant, il vivait surtout de son travail de consultant dans le privé (un groupe gérant les aéroports).

Milei, «produit argentin»

Des deux, c'est Javier Milei l'"outsider», «réellement un émergeant de l'anti-establishment», surgi en politique il y a deux ans et créant son petit parti, La Libertad Avanza. Trump a quant à lui bâti sa conquête de la présidence sur l'appareil du Grand Old Party républicain, estime Gabriel Vommaro, politologue spécialiste des droites à l'université de San Martin.

«Il y a un air de famille, sans aucun doute, mais c'est une erreur de les inclure sans nuance dans le même mouvement, sans tenir compte des particularités locales», ajoute M. Vommaro.

La victoire éclatante de Javier Milei (55,6% des voix) doit beaucoup à des circonstances argentines locales: un phénoménal ras-le-bol de vingt ans de gouvernements péronistes surtout (centre-gauche) et aussi libéraux «classiques» qui n'ont pas su enrayer un marasme chronique et une inflation parvenue à 143%.

Comparer les deux «est un peu forcé», car M. Milei «est le produit de la profondeur de la crise argentine et du désespoir généralisé que ressentent les gens», résume Michael Shifter.

«Opportunisme»

La «bataille culturelle» ou «réaction», dans de nombreux pays, contre un élan généralisé en faveur des droits des femmes, des minorités LGBT+, pour l'avortement, est une forte composante, présente notamment sur les réseaux sociaux, qui a alimenté l'ascension de Javier Milei, comme elle avait porté celle de Trump.

Mais si M. Milei «en est bien un allié et s'il y a dans sa coalition des acteurs clefs de cette bataille culturelle globale, ce thème n'est pas central dans son discours», estime M. Vommaro. Pour lui, la «bataille» est plus globalement celle du libéralisme contre le «marxisme culturel» dominant depuis des décennies.

Pour autant, «il s'est rendu compte qu'il y a là une opportunité de représenter des secteurs qui n'avaient pas de voix politique», ajoute l'analyste. Et il compte parmi ses conseillers un influenceur ultra-conservateur argentin Agustin Laje, partisan d'un référendum sur l'avortement (légalisé en 2021).

ATS