«Rats», «caste putréfiée»...Javier Milei : une violence discursive qui fait froid dans le dos
AFP
6.12.2024
Journalistes montrés du doigt, harcelés, adversaires politiques insultés, escouade digitale amplifiant les saillies du chef de l'Etat : une année de présidence Milei a distillé en Argentine, au nom de la «liberté» d'expression et de communication «directe» avec le peuple, une violence discursive qui inquiète.
AFP
06.12.2024, 08:16
06.12.2024, 09:49
Gregoire Galley
Opposants qualifiés de «rats», «dégénérés», «caste putréfiée», «mandrills», «gauchos de m...», journalistes de «sbires», «achetés», «délinquants du micro», économistes «escrocs», syndicalistes «voleurs»... la liste est riche des noms d'oiseaux employés, ou reproduits par l'utralibéral Javier Milei, en discours, interviews, ou par son hyperactivité sur les réseaux sociaux.
Un think tank de centre-droit, le Mouvement vers le développement, a comptabilisé en un an 2.173 usages «d'insultes ou humiliations» dans le propos présidentiel envers personnes ou institutions. Dont 110 fois «fils de p...»
La presse, elle, a cessé de compter les journalistes ou médias pris à partie verbalement ou via les réseaux. L'influente Association des entités journalistiques argentines (Adepa) qui regroupe 180 médias, en avait, fin septembre, dénombré une cinquantaine sur deux mois...
Pour Ana Slimovich, sociologue du Conicet spécialisée dans les réseaux sociaux, la communication conflictuelle de l'exécutif «étire les marges de ce qui peut être dit et de la manière de le dire».
«Les accusations et insultes présidentielles favorisent une armée de +trolls+, sous protection de l'anonymat et de financements opaques, qui multiplient les attaques verbales, et ouvrent une brèche à la violence physique», s'est alarmée l'Adepa.
Invariablement, interrogé sur le langage de Javier Milei, le porte-parole présidentiel Manuel Adorni répète que «le président est une personne très respectueuse, qui défend la liberté d'expression comme personne». Mais «gère ses réseaux sociaux comme il l'entend», et «sans intermédiaire, façon d'avoir une communication directe avec les gens».
Et le président aux 3,6 millions d'abonnés sur X a lui-même salué l'avènement d'une ère où «grâce aux réseaux sociaux, le privilège de caste dont vous (journalistes) disposiez depuis si longtemps et exerciez avec tant de violence a pris fin (...) Votre monopole de la parole, c'est terminé».
Sans intermédiaire, mais pas sans troupe : une brigade digitale, dont certains membres de sa campagne, se charge de reproduire, appuyer, amplifier les messages de M. Milei, avec à l'occasion du doxing (divulgation d'informations personnelles, ndlr) visant des politiciens ou journalistes ayant déclenché l'ire présidentielle.
Ce «ministère des Trolls» - l'un des comptes X où ils s'expriment -, a quelques noms, visages : un meeting récent a vu le lancement des «Fuerzas del Cielo» (Forces du Ciel, expression fétiche du président argentin), jeunes militants ou influenceurs, se présentant comme le «bras armé» de la Libertad Avanza, parti libertarien de Javier Milei, dans sa «bataille culturelle».
«La garde prétorienne du président Javier Milei (...) ses soldats les plus fidèles», avec le téléphone portable «arme la plus puissante de l'histoire», a clamé un de ces influenceurs, Daniel Parisini alias «Gordo Dan» (Gros Dan), sous une banderole proclamant «l'Argentine sera le phare éclairant le monde».
Deux députés de gauche ont déposé plainte pour «incitation à la haine, intimidation publique et incitation à la violence collective» après le meeting à, selon eux, «esthétique fasciste».
«Atypique par son agressivité et sa violence symbolique», le discours de Milei, parce qu'il vient d'une autorité «tend à autoriser les autres a désinhiber ce type de violence», estime pour l'AFP Ezequiel Ipar, du Laboratoire d'études sur la démocratie et l'autoritarisme (LEDA) de l'Université San Martin. Même s'il souligne que le discours de haine n'est pas né avec M. Milei, ni son apanage. Le leader de gauche radicale Juan Grabois évoque souvent un «gouvernement de fils de p...»
Les passages à l'acte affleurent : un journaliste du quotidien Clarin, qui avait enquêté sur les «croisés» digitaux de M. Milei, a subi un campagne de harcèlement digital, sa photo a été publiée, et il a fait l'objet d'une plainte.
De l'autre côté, un de ces influenceurs de 22 ans a été roué de coups en octobre près du Parlement, en marge d'une des manifestations anti-Milei. Manifestations, où, à au moins quatre reprises cette année, des balles en caoutchouc ont été tirées, fréquence sans précédent depuis des années.
Selon un sondage en octobre du cabinet Zuban Cordoba, pour 65,7% des Argentins, la violence politique, la «haine et l'intolérance» ont augmenté depuis un an.
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