«J'étais là-bas pour mourir» L'amertume des mercenaires népalais de l'armée russe

ATS

10.2.2024 - 09:06

Attirés par des promesses d'argent et de passeport, des mercenaires népalais blessés après avoir combattu avec l'armée russe en Ukraine mettent en garde ceux qui seraient tentés de les imiter: «Ne venez pas!».

Des activistes affiliés à la Human Rights and Peace Society Nepal tiennent des pancartes lors d'une manifestation à Katmandou, au Népal, le 5 février 2024. Un groupe d'activistes a organisé un sit-in de protestation près de l'ambassade de Russie à Katmandou contre le recrutement illégal dans l'armée russe pour combattre l'Ukraine. EPA/NARENDRA SHRESTHA
Des activistes affiliés à la Human Rights and Peace Society Nepal tiennent des pancartes lors d'une manifestation à Katmandou, au Népal, le 5 février 2024. Un groupe d'activistes a organisé un sit-in de protestation près de l'ambassade de Russie à Katmandou contre le recrutement illégal dans l'armée russe pour combattre l'Ukraine. EPA/NARENDRA SHRESTHA
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«J'ai vu mes amis mourir devant moi», témoigne l'un d'entre eux, Surya Sharma, qui a demandé à ce que son nom soit modifié pour des raisons légales. «Les Népalais qui vont là-bas ne peuvent probablement pas imaginer à quel point cette guerre est une horreur», confie le jeune homme de 24 ans.

«Quand les bombes et les balles pleuvaient, j'ai pensé que ma vie était finie», se souvient-il. «J'étais là-bas pour mourir». Ni la Russie, ni l'Ukraine ne fournissent de chiffres sur les combattants étrangers dans leurs rangs ou sur ceux qu'ils ont fait prisonniers.

Mais le gouvernement népalais estime que plus de 200 de ses ressortissants se sont enrôlés dans l'armée russe depuis l'invasion de l'Ukraine il y a près de deux ans, dont au moins douze ont été tués et cinq fait prisonniers. Surya Sharma pense qu'il pourrait y en avoir 10 fois plus, dont des étudiants, d'anciens militaires ou d'ex-combattants maoïstes.

«Nous étions parmi les premiers à nous enrôler, mais maintenant il y a beaucoup de Népalais. Il doit y en avoir 2500 à 3000», dit-il. Selon les médias locaux, des Népalais combattent aussi dans les rangs ukrainiens.

Pour attirer les soldats, le président russe Vladimir Poutine leur a offert la citoyenneté – qui permet de travailler – ainsi qu'un salaire mensuel pouvant atteindre 2200 dollars. Des conditions qui ont séduit certains dans un pays où le PIB par habitant, un des plus faibles d'Asie, atteignait un peu plus de 1300 dollars en 2022, selon la Banque Mondiale.

«Des dettes à rembourser»

«C'est une guerre et nous prenons un risque», estime un combattant ayant requis l'anonymat, qui s'est engagé en juillet après avoir visionné sur TikTok des vidéos de recrues népalaises en Russie.

L'homme de 39 ans, qui a servi pendant plus d'une décennie dans l'armée népalaise avant de travailler pour la police à Dubaï, a accumulé près de 15'000 dollars en six mois avant d'être blessé et de devoir retourner au Népal, où il utilise l'argent pour construire une maison.

«S'il y avait de bonnes opportunités d'emploi au Népal, personne n'irait», juge-t-il. Surya Sharma affirme, lui, avoir été dupé par un agent népalais. Chaque année, des centaines de milliers de Népalais cherchent du travail à l'étranger – 400'000 officiellement, beaucoup plus illégalement – et beaucoup payent des milliers de dollars à des agents pour faciliter leur voyage.

Sharma a emprunté de l'argent pour aller en Russie avec un visa étudiant mais a découvert sur place qu'il n'était pas autorisé à travailler. «J'avais des dettes à rembourser», raconte-t-il dans la chambre qu'il loue à Katmandou. Bien qu'il n'ait aucune expérience militaire, il a «choisi de rejoindre l'armée» parce qu'il avait entendu que «la paye était bonne». «Ce n'était pas ce que je voulais, mais ma situation m'y a contraint», affirme-t-il.

«Je ne pouvais pas retourner (au front)»

«J'étais employé par le gouvernement (russe, ndlr), mais j'ai entendu dire que d'autres Népalais combattaient dans des forces privées», dit le jeune homme, qui a d'abord suivi deux mois d'entraînement. «Nous avons appris les positions de tir, comment construire des bunkers et cibler des drones», se souvient-il. Mais, «nous n'arrivions pas à comprendre les instructions qu'ils donnaient et sur le champ de bataille, ça peut être dangereux».

Envoyée sur le front, l'unité de Sharma – composée essentiellement de Russes et de six Népalais – a été prise en embuscade avant même d'atteindre Koupiansk (est de l'Ukraine). Sharma a été blessé aux jambes et à la main et plusieurs de ses compagnons ont été tués.

Après plusieurs mois à l'hôpital, il a déserté et cherché de l'aide auprès de l'ambassade du Népal à Moscou. «Je ne pouvais pas retourner (au front), alors j'ai pris le risque de rentrer au Népal, pensant que j'irais soit en prison, soit chez moi», confie-t-il.

«Ne venez pas»

Aux yeux de la loi, les Népalais ne peuvent aller combattre pour une autre nation qu'en cas d'accord gouvernemental, ce qui n'est le cas qu'avec le Royaume-Uni et l'Inde. Le Népal a interdit à ses ressortissants de travailler en Russie et en Ukraine pour décourager les départs et au moins 12 personnes ont été arrêtées pour avoir envoyer des hommes se battre pour la Russie.

«Nous n'avons pas d'accord avec la Russie et avons réclamé le retour immédiat» des ressortissants népalais, a déclaré à l'AFP le ministre des Affaires étrangères NP Saud. L'ambassade russe à Katmandou n'a pas répondu aux sollicitations de l'AFP.

Joint au téléphone par l'AFP depuis son lit d'hôpital en Russie, un combattant népalais blessé enjoint ses compatriotes à ne pas l'imiter. «Peu importe à quel point vous vous préparez, ça ne marche pas sous les bombes et les drones», met en garde l'homme de 27 ans. «Je demande aux autres: ne venez pas».