Elections nationales L'Argentine, crispée et indécise, vote en rêvant d'une sortie de crise

ATS

19.11.2023 - 13:06

Soins longue durée ou thérapie de choc pour une crise économique sans fin? L'Argentine, crispée comme rarement en 40 ans de démocratie, vote dimanche lors d'une présidentielle indécise, entre le centriste Sergio Massa et l'ultralibéral et «antisystème» Javier Milei.

Javier Milei a aimanté au premier tour un vote "bronca" (de colère), mais sa rhétorique, sa volonté d'assécher la dépense publique dans un pays où 51% des Argentins reçoivent une aide sociale, ou son projet de "déréglementer le marché des armes à feu", ont aussi effrayé.
Javier Milei a aimanté au premier tour un vote "bronca" (de colère), mais sa rhétorique, sa volonté d'assécher la dépense publique dans un pays où 51% des Argentins reçoivent une aide sociale, ou son projet de "déréglementer le marché des armes à feu", ont aussi effrayé.
ATS

Keystone-SDA

Une inflation chronique à trois chiffres (143% sur un an), une pauvreté à 40% de la population malgré un dense filet social, un endettement pathologique et une monnaie qui dévisse dressent le paysage du second tour. Qu'en dépit d'un très léger avantage à Milei, les analystes prédisent «au vote près».

Les bureaux de vote ont ouvert dimanche à 08h00 (12h00 heure suisse), et fermeront dix heures plus tard, pour près de 36 millions d'Argentins appelés à voter. Les premiers résultats officiels sont attendus à partir de 21h00 (01h00 lundi heure suisse).

Pour la troisième économie d'Amérique latine, difficile de trouver plus antagoniques projets d'avenir.

Préserver l'Etat-providence

D'un côté, Sergio Massa, 51 ans, politicien accompli, ministre de l'Economie depuis 16 mois d'un exécutif péroniste (centre gauche) dont il s'est distancié. Et qui promet un «gouvernement d'unité nationale» et un redressement économique graduel, préservant l'Etat-providence, central dans la culture argentine.

Face à lui, Javier Milei, 53 ans, économiste «anarcho-capitaliste» comme il se décrit, polémiste des plateaux TV surgi en politique il y a deux ans. Dégagiste contre la «caste parasite», il est résolu à «tronçonner» l'"Etat-ennemi» et à dollariser l'économie. Pour lui, le changement climatique est un «cycle», non la responsabilité de l'être humain.

«De crise en crise»

Au milieu? Des Argentins passés «de crise en crise, et au bord de la crise de nerfs», résume Ana Iparraguirre, analyste au cabinet d'opinions GBAO Strategies.

Ereintés par des prix qui grimpent de mois en mois, voire de semaine en semaine, quand les salaires décrochent, dont le salaire minimum à 146'000 pesos (400 dollars).

Les loyers sont hors d'atteinte pour beaucoup et des mères de famille recourent au troc, comme après la crise économique traumatique de 2001. 68% des jeunes de 18 à 29 ans émigreraient s'ils le pouvaient, selon une étude de l'Université de Buenos Aires en début d'année.

Clé chez les indécis

«Ce qui existe aujourd'hui ne fonctionne pas pour moi, alors peut-être ce changement serait bien», avance Matias Esoukourian, étudiant de 19 ans attiré par Milei et sa «passion», à défaut «d'expérience politique».

«Aucun des deux candidats n'a de bonnes propositions. Alors je vote pour celui qui fera le moins de mal au pays, qui est déjà bien mal en point», se résignait Laura Coleman, infirmière de 25 dans un bureau de Montserrat, au centre de Buenos Aires.

Pour départager Massa (37% au premier tour) et Milei (30%), les indécis, environ 10% selon les estimations, détiennent la clef.

Milei a modéré son discours

Milei a aimanté au premier tour un vote «bronca» (de colère), mais sa rhétorique, sa volonté d'assécher la dépense publique dans un pays où 51% des Argentins reçoivent une aide sociale, ou son projet de «déréglementer le marché des armes à feu», ont aussi effrayé.

Aussi, le candidat «antisystème» a modulé son discours entre les deux tours. Moins d'apparitions, moins tranchées, et un message: «Votez sans peur, car la peur paralyse et bénéficie au statu quo».

Dès lors, «ce qui joue désormais est moins l'adhésion que le rejet» de l'autre, estime Gabriel Vommaro, politologue de l'Université San Martin. «Ce n'est pas l'amour qui nous unit, mais la peur», résume la politologue Belen Amadeo, citant le célèbre écrivain argentin Jorge Luis Borges.

Décisions économiques attendues

Seule certitude: quel que soit le vainqueur, il y aura «des décisions économiques rapides qui vont faire mal», affirme Ana Iparraguirre.

Le pays est sous la pression des objectifs de rééquilibrage budgétaire du Fonds monétaire international (FMI), auquel l'Argentine rembourse péniblement un prêt colossal de 44 milliards de dollars octroyé en 2018.

«Quoi qu'il arrive, on ne voit pas un bon avenir. On s'attend à prendre des coups», grimaçait dimanche Mariano Delfino, 36 ans, après avoir voté «sans conviction».

Insinuations de fraude

Ajoutant à la nervosité ambiante, le camp Milei a distillé ces dernières semaines des insinuations de fraude, sans pour autant qu'une plainte soit déposée.

«Attention aux très mauvais exemples de (Donald) Trump et de (Jair) Bolsonaro» qui ont promu de tels messages, ou n'ont pas accepté les résultats, a mis en garde M. Massa.

Cinq personnes ont été arrêtées vendredi et samedi pour avoir proféré des menaces contre Sergio Massa ou sa famille sur les réseaux sociaux.