ReportageLa vie sous terre des derniers habitants d'Avdïivka bombardée
ATS
19.12.2022 - 07:41
Sortis de leurs caves, l'air hagard et le visage blafard, emmitouflés dans des vêtements sales, une vingtaine d'habitants de la ville ukrainienne d'Avdiïvka viennent chercher des colis de nourriture distribués au bas d'un immeuble. Aucun ne prête attention aux détonations incessantes qui résonnent dans cette localité proche de Donetsk et sous le feu constant des forces russes.
Ukraine: à Avdiivka, les derniers habitants se sont habitués à la guerre
Les derniers habitants de la ville d'Avdiivka, située à seulement 13 kilomètres du bastion rebelle pro-russe de Donetsk, dans l'est de l'Ukraine, se disent désormais «habitués» à la guerre.
18.12.2022
Keystone-SDA
19.12.2022, 07:41
ATS
Chargés des cartons estampillés PAM (Programme alimentaire mondial), le pas lent, ils repartent dans les sous-sols, où ils vivent sans électricité ni gaz ni eau, à l'abri des bombardements.
Les soldats de Moscou tentent depuis des mois de prendre la ville située sur la ligne de front, à seulement 13 km du bastion rebelle de Donetsk, une «capitale» des séparatistes pro-russes. Environ 30'000 habitants vivaient à Avdiïvka avant la guerre. Quelque 2000 y résident toujours à la mi-décembre.
Ce jour-là, en milieu de matinée, Vitali Barabash, le chef de l'administration militaire de la ville, décrit à l'AFP le rythme des frappes russes.
Nombreux bâtiments éventrés
«À partir de 07h15, ils ont commencé à bombarder avec des roquettes Grad, la partie vieille de la ville. A 09h30, il y a eu une frappe sur la partie centrale. Ils ont utilisé l'artillerie. Il y a juste 7 minutes, ils ont commencé une frappe massive d'artillerie, la partie centrale à nouveau, des immeubles d'habitation».
De nombreux bâtiments sont éventrés, d'autres en partie noircis. Rares sont ceux dont les vitres sont intactes. Au nord de la ville, la grande cokerie, qui comptait jusqu'à 4000 salariés, a aussi été la cible de nombreuses frappes.
Dans une cave près du point de distribution des colis, Svitlana, 74 ans, partage une pièce froide avec cinq autres femmes et deux hommes, tous âgés. Avant la guerre, ils habitaient aux étages au-dessus.
D'épaisses couvertures et des sacs de couchage recouvrent les huit lits. Sur un mur, une lampe torche branchée sur une batterie diffuse une lumière faible et blanchâtre.
Dormir habillé
«C'est très dur... [Des bénévoles, ndlr] nous proposent de partir, d'évacuer, mais où pouvons-nous aller? Nous sommes trop vieux. Alors, que pouvons-nous attendre d'un nouvel endroit? Les caves sont toutes les mêmes, mais, ici, c'est notre cave. Il fait froid maintenant, où que nous allions», explique à l'AFP Svitlana, engoncée dans son manteau et bonnet sur la tête.
«Ici, au moins, nous pouvons monter à l'étage et prendre une veste supplémentaire», ajoute-elle, indiquant dormir habillée. Les sacs de couchage ont été donnés il y a une semaine par des bénévoles.
Dans une pièce contiguë légèrement chauffée, un feu crépite dans un poêle à bois. Le tuyau d'évacuation de la fumée disparaît à l'extérieur de l'immeuble. Il n'y a aucune autre ouverture que la porte d'entrée blindée de la cave. L'air est légèrement vicié dans les deux pièces.
Mycola sort des branches d'un petit tas de bois pour alimenter le foyer. Deux détonations claquent dehors. «Qui sait ce que c'était. On aurait dit de l'artillerie ou peut-être des mortiers», remarque-il en habitué.
Russes à l'est et au sud
«Ici, nous gardons de la nourriture, des pommes de terre... S'il fait trop froid, nous déménagerons ici», dans la pièce chauffée, dit-il.
Pour Svitlana, «l'espoir est tout ce que nous avons. La plupart d'entre nous sont malades, comme tout le monde ici – des accidents vasculaires cérébraux, la grippe, certaines personnes se blessent...».
Lorsque le conflit en Ukraine a débuté en 2014, Avdiïvka a été conquise par les séparatistes, avant d'être reprise par les forces de Kiev. En raison de sa proximité avec la ligne de front, elle est restée l'un des points chauds jusqu'au déclenchement de l'offensive russe le 24 février.
Depuis ces derniers mois, la ville est l'un des deux théâtres des combats les plus difficiles du front, avec celui de Bakhmout.
Au nord d'Avdiïvka en juin, les Russes et les forces séparatistes de la région de Donetsk ont coupé l'une des deux principales routes d'accès à la ville. Ils sont aussi positionnés à l'est et au sud, où, ces derniers jours, ils ont contraint les forces ukrainiennes à reculer leurs lignes.
«Tous les civils menacés»
«Nos troupes se sont retirées de Vodyane. Elles ont traversé la rivière, parce qu'il était absolument impossible de tenir les positions précédentes qui sont complètement détruites» par les bombardements, explique l'administrateur militaire Vitali Barabash.
Selon lui, Moscou vient de redéployer à Avdiïvka des troupes de l'armée régulière, «mieux entraînées» que les forces séparatistes. «Le moral [des soldats ukrainiens, ndlr] est haut. Ils ne pensent même pas à quitter la ville», assure-t-il.
Dans son commissariat bunkérisé, l'officier de police d'Avdiïvka, Rasim Rustamov, juge la situation «vraiment difficile». «Nous souffrons des bombardements répétés de la ville elle-même et des alentours. Tous les civils ici sont menacés», dit-il.