«On ne choisit pas son pays» Face à la guerre, l'accablement de jeunes Russes nés sous Poutine

ATS

3.3.2022 - 11:33

Honte, rage, douleur: de jeunes Russes, qui n'ont jamais connu d'autre dirigeant que Vladimir Poutine, se disent horrifiés depuis sa décision d'envahir l'Ukraine il y a une semaine. Ils estiment également ne pas avoir voix au chapitre.

La police russe empêche les opposants à la guerre de manifester. Mercredi, plusieurs dizaines d'entre eux ont été interpellés entre Moscou et Saint-Pétersbourg.
La police russe empêche les opposants à la guerre de manifester. Mercredi, plusieurs dizaines d'entre eux ont été interpellés entre Moscou et Saint-Pétersbourg.
ATS

Les noms de famille des personnes citées ne sont pas publiés pour les protéger.

L'univers de Maria, 21 ans, s'est écroulé comme un château de cartes au petit matin du 24 février, lorsqu'elle a appris que son pays lançait ce qui est présenté comme une «opération spéciale» en Ukraine, destinée à protéger la Russie de la menace occidentale et les russophones d'un «génocide».

Depuis, elle s'efforce de «chercher une logique» dans ce qui s'est passé. Peine perdue: «Mon système de valeurs s'écroule», résume la jeune femme, désemparée. Tous les jours, Maria va manifester contre la guerre, avec des centaines d'autres Moscovites, sans slogan ni pancarte, pour éviter d'être emprisonnée.

«Mais les hommes politiques ne voient pas les gens comme moi, qui pensent autrement», estime la jeune femme, qui vient d'abandonner ses études. Nombre de jeunes de sa génération se sentent «trahis» par le Kremlin qui «refuse de les voir et de les écouter». C'est à une amie venue de Saint-Pétersbourg que Maria se livre, dans un café minuscule du centre ville.

Mira, 26 ans et travaillant dans la mode, participe elle aussi aux petites manifestations quotidiennes contre la guerre dans l'ancienne capitale impériale. Elle dit s'y rendre à chaque fois «avec médicaments, passeport et une paire de chaussettes» dans son sac, en cas d'arrestation.

«Petite, invisible»

«Manifester est aujourd'hui une décision qui mérite réflexion, étant donné le risque de se voir infliger de lourdes amendes, d'être molesté (par la police) ou d'aller en prison», explique à l'AFP Liza, une étudiante de 20 ans.

Trop souvent, «sortir manifester signifie gâcher sa vie», ajoute cette intellectuelle mince et élégante, qui dit se sentir «toute petite et invisible pour le système». «Je n'ai jamais voté pour Poutine. Personne n'a demandé mon avis (...) sur cette guerre que je finance avec mes impôts», souligne-t-elle.

«Ni respectée, ni entendue», elle veut quitter la Russie avec son compagnon, Evguény. «Cette guerre me fait du mal comme jamais», renchérit ce dernier, qui juge «toute protestation déjà inutile». Horrifié par les «sombres perspectives qui attendent les Russes (...), peuple paria», et redoutant entre autres une mobilisation générale dans son pays, il est désormais sur le point de partir vers la Géorgie.

Même son de cloche chez Elizaveta, 28 ans, diplômée d'une prestigieuse université. En elle, dominent «la rage et la douleur, comme s'il y avait eu un décès dans (sa) famille», déclare-t-elle à l'AFP. Elisaveta a déjà renoncé à faire une carrière dans la fonction publique après l'annexion par Moscou de la péninsule ukrainienne de la Crimée en 2014, préférant devenir interprète indépendante.

«On ne choisit pas son pays»

Piotr, 20 ans, est conscient que la carrière dans le cinéma dont il rêve partira en fumée s'il est arrêté lors d'une des manifestations anti-guerre qu'il filme.

«Mais y aller est mon devoir civique et professionnel», estime le jeune homme qui se reproche par ailleurs de ne pas avoir protesté contre l'«assassinat par les forces de Kiev de 15'000 personnes» dans les régions séparatistes prorusses d'Ukraine, depuis le début du conflit en 2014.

Au fond, «le pouvoir s'adresse à nous comme nos parents: 'On sait ce qui sera le mieux pour vous'», s'agace Liza, 23 ans. «Après les pénuries soviétiques, nos parents viennent à peine d'acquérir leurs biens (matériels) et ils y tiennent énormément». «Mais on ne choisit pas son pays, tout comme ses parents», conclut-elle.