Croatie Le président candidat pour défier son Premier ministre

ATS

15.4.2024 - 07:40

Duel au sommet aux législatives en Croatie, et original: le président de gauche aux accents populistes Zoran Milanovic s'est porté candidat tout en restant en fonction pour affronter son Premier ministre conservateur Andrej Plenkovic.

Issu de la sociale-démocratie, M. Milanovic, 57 ans, a adopté ces dernières années une rhétorique plus populiste et flirté ouvertement avec la droite.
Issu de la sociale-démocratie, M. Milanovic, 57 ans, a adopté ces dernières années une rhétorique plus populiste et flirté ouvertement avec la droite.
IMAGO/Pixsell

Keystone-SDA

Jusqu'en mars, la victoire de M. Plenkovic et de son parti, l'Union démocratique croate (HDZ), semblait assurée, malgré un bilan mitigé, un manque chronique de main-d'oeuvre, un taux d'inflation parmi les plus hauts de la zone euro, une immigration illégale continue et des accusations de corruption en cascade.

C'était sans compter le coup de théâtre du chef de l'Etat, candidat surprise du principal parti d'opposition, le SDP (social-démocrate). La Cour constitutionnelle a beau avoir tranché que cette candidature ne respectait pas la loi, et intimé au président de démissionner avant de faire campagne, ce dernier est resté en poste. Et en campagne.

«Une nouvelle donne politique qui a provoqué tensions et controverses», résume le politologue Tihomir Cipek: «Un vote tout à fait prévisible s'est transformé en une bataille incertaine». La campagne est depuis marquée par les échanges d'insultes entre ces deux diplomates de carrière, connus pour leur longue animosité politique mais aussi personnelle.

Issu de la sociale-démocratie, M. Milanovic, 57 ans, a adopté ces dernières années une rhétorique plus populiste et flirté ouvertement avec la droite. Il s'en est ainsi pris aux migrants, les accusant de venir «uniquement pour bénéficier des allocations», et a critiqué à plusieurs reprises la position de l'UE sur l'invasion russe de l'Ukraine.

«Salut national»

Les détracteurs du président, qui occupe un poste relativement honorifique en Croatie, dénoncent son arrogance et ses attaques ad hominem. La Cour constitutionnelle? Des «gangsters» et des «paysans analphabètes». Andrej Plenkovic? Un «menteur et imposteur politique», un «garçon de courses».

De quoi séduire une partie des électeurs. «Nous avons enfin quelqu'un qui dit ouvertement ce que pensent la plupart des gens. Respectez Monsieur le Président, il a ma voix!», explique à l'AFP Borko, un chauffeur de taxi qui préfère ne pas donner son nom de famille.

C'est la nomination d'un juge soupçonné de collusion avec des criminels au poste de procureur général de l'Etat de Croatie, qui l'aurait convaincu de se présenter – et de faire campagne en promettant «un pays meilleur, plus juste», et un «gouvernement de salut national».

Si le SDP et ses alliés remportent suffisamment de sièges à l'Assemblée qui en compte 151, alors il démissionnera, a-t-il promis, pour être choisi comme chef du gouvernement. Personnalité politique préférée des Croates, le président a donné de l'élan au SDP – qui selon les derniers sondage reste 10 points derrière le HDZ, avec 20% des intentions de vote.

En 3e position, le Mouvement patriotique, parti de droite nationaliste fondé en 2020 et qui est entré au Parlement en 2020, pourrait devenir faiseur de roi. Sur 3,7 millions d'électeurs inscrits, environ 222'000 peuvent voter à l'étranger, dans une quarantaine de pays, dont près de la moitié en Bosnie voisine, selon les données officielles.

Trois des 151 députés du Parlement croate sont élus par la diaspora, qui généralement vote pour le HDZ. Dans un scrutin qui s'annonce serré, ces trois sièges deviennent plus importants. Par ailleurs, huit sièges sont réservés aux représentants des minorités.

Corruption

Par-delà les éruptions de son candidat, le SDP – qui s'est allié à cinq petits partis de gauche et libéraux dans une coalition baptisée Rivières de Justice, a fait campagne sur la lutte contre la corruption, et pour une hausse des salaires et des retraites.

«La corruption a enchaîné la Croatie au point que rien ne peut plus être fait si l'on ne connaît pas la bonne personne, si l'on n'a pas de relations ou une carte au parti», a fustigé le leader du SDP, Pedja Grbin, peu avant le scrutin. Dans ce pays qui a rejoint l'Union européenne en 2013, et où plusieurs ministres du gouvernement Plenkovic ont dû démissionner, éclaboussés par des accusations de corruption, le message résonne.

«La corruption est l'un des plus grands problèmes de la Croatie», estime Sebastian Bujan, 26 ans. «Mais cela ne peut pas être résolu par des affiches et des campagnes. La lutte contre la corruption devrait être enseignée dès l'enfance».

Le pays fait aussi face à un effondrement démographique et une pénurie chronique de main-d'oeuvre, notamment dans son industrie clé du tourisme, le long de la magnifique côte Adriatique. La population vieillit, et environ 300'000 personnes sont parties chercher une vie meilleure à l'étranger depuis que la Croatie a rejoint l'UE.

M. Plenkovic fait lui campagne en rappelant sans cesse que, sous son mandat, la Croatie a rejoint la zone euro et l'espace Schengen. Voter pour le HDZ, c'est voter pour «la stabilité, la sécurité et le développement», affirme le Premier ministre de 54 ans, en poste depuis 2016. Mais avec un salaire mensuel moyen de 1240 euros et un produit intérieur brut (PIB) représentant 76% de la moyenne de l'UE, la Croatie reste parmi les membres les plus pauvres de l'Union.