«Ils me font honte»«Le président souffre» - Emmanuel Macron en détresse ?
AFP
10.10.2024
Il est des silences qui disent beaucoup. Celui d'Emmanuel Macron au Conseil des ministres, en pleine polémique sur l'Etat de droit, est révélateur de ce «temps nouveau» que le président cherche à incarner depuis qu'il a perdu une partie de son pouvoir.
AFP
10.10.2024, 10:24
Gregoire Galley
L'équilibre est complexe: respecter une position plus en retrait qui découle de sa cohabitation avec Michel Barnier, afficher sa distance par rapport aux nouveaux arrivés en laissant filtrer tout le mal qu'il en pense, mais préserver aussi sa «capacité d'influence» pour échapper à l'effacement.
Ce 1er octobre, à l'Elysée, le chef de l'Etat écoute donc un Premier ministre qu'il a nommé dans l'opposition de droite faire acte d'autorité sur ses troupes en affirmant à trois reprises son attachement à l'Etat de droit, que son ministre de l'Intérieur Bruno Retailleau avait jugé ni «intangible ni sacré». Emmanuel Macron n'intervient pas.
«S'il y a un écart manifeste entre l'action du gouvernement et l'Etat de droit, il est fondé à le dire. Sinon, il ne commente pas l'action gouvernementale», théorise son entourage.
A la table du Conseil, autour du président, des ministres qu'il n'a pas choisis, hormis son fidèle Sébastien Lecornu, reconduit aux Armées. Même Marc Ferracci, à l'Industrie, et Laurent Saint-Martin, au Budget, considérés comme des macronistes pur jus, ont été «débauchés» selon lui.
«Je n'ai pas fait ce gouvernement», lance à ses proches le président, insistant pour qu'ils fassent circuler l'idée qu'il ne se reconnaît pas dans cette équipe. «Ils me font honte», lâche-t-il même à un de ses interlocuteurs au sujet des ministres les plus conservateurs.
Déprimé, Emmanuel Macron ? Certains en sont persuadés. «Je pense que le président souffre», dit un responsable public qui le connaît. «Il a vraiment choisi de faire un pas de côté, mais ça doit lui coûter énormément».
Jusqu'ici, le chef de l'Etat a plutôt respecté sa promesse de «laisser le gouvernement gouverner». Une gageure pour celui qui s'est voulu tout à la fois «Jupiter» et «maître des horloges». Qui entendait faire de 2024 l'année du «réarmement» de la France et se retrouve désarmé par sa propre dissolution.
«Depuis sept ans, beaucoup de choses s'impulsaient de l'Elysée», mais «je ne vais plus être l'initiateur des politiques publiques», reconnaît en petit comité Emmanuel Macron.
Ne pas croire qu'il va rester les bras croisés pour autant. Le président tient à rappeler que si le Premier ministre est «un opposant», c'est son parti à lui, Renaissance, qui est «au coeur» d'une fragile alliance gouvernementale. Il esquisse aussi, touche par touche, comment il espère continuer à exister.
«Macron est malheureux... mais pas plus que cela», nuance d'ailleurs un proche à qui il a confié avoir «besoin de guerriers» pour les temps troubles qui s'annoncent.
Au gouvernement, il a peu de relais. Parmi les députés Renaissance, beaucoup sont encore «très meurtris par la dissolution» et moins prompts à suivre une ligne dictée depuis l'Elysée, glisse un cadre. «La fidélité au président est moins forte qu'avant», confirme un député.
Un allié est plus abrupt. Quand on invoque devant lui les souhaits présidentiels, il coupe net: «Mais on s'en fout! Macron il est pas candidat en 2027, non ?»
En froid avec le patron du groupe parlementaire Gabriel Attal, Emmanuel Macron conserve malgré tout quelques proches, dont son remuant ex-ministre Gérald Darmanin, et déjeune régulièrement avec des élus.
Ce qui lui permet de faire passer des messages. «Je l'ai trouvé très critique et très distant envers la manière dont Barnier s'y prenait», rapporte l'un d'eux. L'expérience des cohabitations passées lui laisse une grande latitude sur la politique étrangère et la défense, «domaines réservés».
Au-delà, le président a déjà montré qu'il ne s'empêche pas de commenter l'action gouvernementale. Sur France Inter, samedi, il n'a pas hésité à donner un tacle à Bruno Retailleau, qui a jugé que l'immigration n'était «pas une chance». «C'est résolument en contradiction» avec «la réalité», a-t-il tancé.
Son rôle de «garant», il semble vouloir lui donner une portée très étendue. Garant des «pouvoirs publics» et des institutions, mais aussi de «l'indépendance» et de «la stabilité du pays», avec «comme boussole l'intérêt supérieur de la France et son unité», a-t-il énuméré au gré des interventions.
Opportunément, il a estimé, depuis Berlin, que l'essentiel des réformes économiques et sociales au niveau français avait été mené à bien depuis son élection en 2017, et que le travail était maintenant à mener «à l'échelle européenne».
Cette dimension européenne permet à Emmanuel Macron de s'ériger aussi en gardien de la compétitivité de la France... et donc de son propre bilan, positif en termes d'attractivité.
Voilà qui étend encore sa capacité de commentaire à la politique de Michel Barnier, en plein casse-tête budgétaire pour combler le déficit. «La solution ne doit pas être un ajustement de court terme en coupant des dépenses sociales (...) ni surtaxer», a prévenu le président.
Viendra enfin le temps où le chef de l'Etat, encore impopulaire, retournera au contact des électeurs. Le rôle qu'il souhaite reste flou. «Dans le quotidien des gens», explique-t-il à certains interlocuteurs. «Comme une instance d'appel, au côté des Français.»
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