Mort de Mahsa Amini Le régime religieux iranien défié par les manifestations

ATS

26.9.2022 - 08:19

Les femmes mettent le feu à leur voile et les manifestants aux images de responsables religieux. Les manifestations qui s'étendent en Iran brisent un tabou et placent le pouvoir islamique en place à Téhéran devant un défi sans précédent.

Des manifestants pro-gouvernementaux assistent à un rassemblement condamnant les récentes manifestations anti-gouvernementales contre la mort de Mahsa Amini, une femme de 22 ans qui avait été détenue par la police nationale des mœurs, à Téhéran, en Iran, le dimanche 25 septembre 2022.
Des manifestants pro-gouvernementaux assistent à un rassemblement condamnant les récentes manifestations anti-gouvernementales contre la mort de Mahsa Amini, une femme de 22 ans qui avait été détenue par la police nationale des mœurs, à Téhéran, en Iran, le dimanche 25 septembre 2022.
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La mort de Mahsa Amini, âgée de 22 ans et originaire de la région du Kurdistan, après son arrestation par la police des moeurs, a déclenché une nouvelle poussée de fièvre contestataire dans un pays où la dissidence est placée en coupe réglée.

L'Iran avait déjà connu le «mouvement vert» en 2009 après des élections contestées, puis plus récemment les manifestations de novembre 2019 consécutives à la hausse du prix de l'essence et à l'inflation généralisée. Mais les analystes estiment que la contestation actuelle pose un défi plus complexe encore au régime islamique de l'ayatollah Ali Khamenei, 83 ans.

«Ce sont les plus grosses manifestations depuis novembre 2019. Alors que les précédents mouvements nationaux étaient emmenés par les classes populaires et déclenchés par la dégradation des conditions socio-économiques, le déclenchement cette fois est socio-culturel et politique», estime Ali Fathollah-Nejad, expert de l'Iran à l'université de Beyrouth.

Révolte des femmes

«Le régime ne s'attendait pas à ce que la détention fatale d'une ressortissante de province provoque une révolte nationale», ajoute-t-il.

Ce qui est plus surprenant encore, c'est que la révolte vient des femmes. «Elles en sont les victimes; il est normal qu'elles protestent. Ce qui est beaucoup plus important, c'est que les hommes les soutiennent», explique à l'AFP Alexandre Grinberg, analyste de l'institut pour la sécurité et la stratégie de Jérusalem (JISS), qui note une «sécularisation» croissante de la société.

«Cela inquiète aussi les religieux à tendance réformatrice. Ils comprennent que le résultat sera que les gens finiront par haïr l'islam et la religion».

Pour Ali Fathollah-Nejad, le mouvement actuel marque une double rupture par rapport au mouvement de 2009, marqué par des revendications politiques de la classe moyenne, et à celui de 2019, provoqué par la colère des couches populaires. «Les conditions actuelles en Iran suggèrent une tendance d'unification des deux groupes», estime-t-il.

Régime fragilisé

Les manifestations interviennent aussi à un moment hautement sensible pour le régime, fragilisé par les sanctions économiques internationales liées à son programme nucléaire. Les négociations pour revenir à l'accord de Vienne de 2015, dit «JCPOA», condition sine qua non pour la levée des sanctions, sont bloquées depuis des mois.

Parmi les slogans des manifestants ont été entendus des slogans comme «mort au dictateur» et de nombreuses déclarations anti-régime, tandis qu'émergeait le cri de ralliement fédérateur «zan, zendegi, azadi»: «Femme, vie, liberté».

Des images sans précédent ont même montré des manifestants mettant le feu à l'image du commandant des gardiens de la révolution Qassem Soleimani, personnalité surpuissante du régime devenue une figure quasi mythique depuis son assassinat en Irak par les Américains en janvier 2020.

Les militants ont aussi frontalement résisté aux forces de sécurité, les femmes refusant le port du voile tandis que les voitures de police partaient en fumée.

«Survie du régime»

Des dizaines de personnes ont déjà été tuées, faisant craindre une répression féroce semblable à celle de 2019, qui avait fait 321 morts en 2019 en l'espace d'une semaine, selon Amnesty International.

«Je pense qu'il va y avoir un raidissement du régime, que cela va en plus les pousser à ne montrer aucune flexibilité sur le JCPOA», estime un diplomate européen. «Ces manifestations sont de nature à mettre en jeu la survie du régime. En novembre 2019, il n'a pas hésité à tirer. Je ne vois pas pourquoi il hésiterait cette année.»

Comme d'habitude, les autorités ont limité l'accès à Internet pour éviter la diffusion des images et appels aux manifestations. Le président Ebrahim Raïssi a appelé pour sa part les forces de l'ordre à agir «fermement contre ceux qui portent atteinte à la sécurité et la paix du pays et du peuple».

La réaction du pouvoir «fait écho à ses réponses aux innombrables autres cas de décès en garde à vue, meurtres de manifestants et autres violations et crimes flagrants», dénonce Saloua Ghazouani, directrice pour le Moyen-Orient et l'Afrique du Nord d'Article 18, un groupe de défense de la liberté d'expression.

«Cela reflète l'aggravation de l'impunité dans le pays et le recours à des niveaux toujours supérieurs de violence pour réprimer critiques et manifestations.»