Présidentielle américaine «Il devient de plus en plus difficile pour Trump de gagner»

gbi

13.7.2020

Donald Trump ou Joe Biden: dans quatre mois, les Etats-Unis éliront leur président. Qui est devant dans cette campagne électorale marquée par des crises? Et que ferait Donald Trump en cas de défaite? Marco Steenbergen, expert des Etats-Unis, répond à ces questions.

Entre coronavirus, économie chancelante et protestations de masse contre le racisme, les Etats-Unis traversent une zone de fortes turbulences quatre mois avant les élections présidentielles. Ni le président républicain des Etats-Unis Donald Trump (74 ans), ni son challenger désigné, le démocrate Joe Biden (77 ans), ne peuvent envisager une campagne électorale normale.

Qu’implique tout cela pour les élections prévues le 3 novembre? Interrogé par «Bluewin», Marco Steenbergen, expert des Etats-Unis et politologue à l’université de Zurich, nous donne son avis.

M. Steenbergen, Donald Trump a déjà traversé d’innombrables crises au cours de son premier mandat. Y a-t-il des signes qu’il pourrait trébucher cette fois-ci?

Oui, il y en a. Ces derniers mois, la situation s’est fortement dégradée pour Donald Trump. Au début de l’année, j’aurais dit que les démocrates auraient eu du mal à gagner – j’aurais parlé d’une «uphill battle» («bataille ardue»). Aujourd’hui, les choses sont complètement différentes.

A propos

Marco Steenbergen est professeur de sciences politiques à l’université de Zurich. L’un de ses principaux domaines de recherche est la politique américaine. Il a étudié à Amsterdam ainsi qu’à l’université de Stony Brook, dans l’Etat de New York.

Et pourquoi donc?

Cela est dû à la convergence de différentes crises. Il y a d’abord eu la crise du coronavirus, à travers laquelle Donald Trump dirige mal le pays, selon de nombreux Américains. A cela s’est ajoutée la grave crise économique qui se poursuit encore. Ici aussi, le gouvernement a fait des erreurs: de nombreux citoyens attendent toujours des aides financières. Et le mouvement «Black Lives Matter» a également une influence majeure sur l’évolution de l’opinion publique aux Etats-Unis. Tout cela fait que Donald Trump semble mal en point dans les sondages d’opinion en ce moment.

La situation était pourtant très similaire lors des élections de 2016 contre Hillary Clinton, n’est-ce pas?

Je vois néanmoins deux grandes différences. Premièrement, Joe Biden parvient à conserver une avance importante qui s’est encore accrue dernièrement. Hillary Clinton ne jouissait pas de cette stabilité en 2016. Et deuxièmement, il y a les swing states d’une importance stratégique, qui votent tantôt républicain, tantôt démocrate. Même si les sondages doivent être pris avec des pincettes, tout porte à croire que Donald Trump aura du mal à gagner des États comme le Michigan, la Pennsylvanie et le Wisconsin. Ils l’ont aidé à gagner en 2016, mais aujourd’hui, Joe Biden est constamment en tête. Et même dans les Etats où les chances de Joe Biden sont censées être minimes, comme la Géorgie et l’Arizona, il est au moins au coude-à-coude avec Donald Trump.

Joe Biden n’est cependant pas réputé pour ses talents en campagne. Est-il capable de mobiliser suffisamment les électeurs démocrates?

Je pense qu’il s’en sort plutôt bien dans les segments décisifs de l’électorat. L’un des constats des élections de 2016 est que Hillary Clinton n’était pas parvenue à mobiliser les électeurs afro-américains et latino-américains. Joe Biden fait mieux auprès des deux groupes. Cependant, il a toujours un désavantage dans la conquête des plus jeunes: il ne dégage pas l’énergie nécessaire pour marquer des points auprès de ces électeurs. Il faudrait qu’il travaille sur ce déficit. Mais je ne pense pas que cela lui cause un gros problème. Le problème pourrait plutôt venir de la crise du coronavirus et des mesures de confinement.

Justement, comment se déroulera le scrutin? L’option du vote par correspondance a été de plus en plus souvent évoquée ces derniers temps.

Dans de nombreux Etats, on prône désormais le vote par correspondance. Cette pratique est de toute façon en vigueur depuis longtemps dans certains Etats, par exemple dans l’Oregon. Mais bien sûr, il revient à chaque Etat de décider de sa manière d’appréhender cela. Et dans ceux où les républicains sont au pouvoir, ils essaieront plutôt de compliquer cette approche ou tout au moins de ne pas l’encourager activement.

Donald Trump n’est pas un amateur du vote par correspondance. Qu’est-ce qui le dérange?

Il fait tout pour empêcher le vote par courrier. C’est étrange, car on ne sait pas du tout si un scrutin par correspondance serait effectivement un désavantage pour lui. Les recherches à ce sujet n’ont jamais montré que les démocrates ou les républicains seraient clairement favorisés. A mon avis, cela pourrait simplement être un premier pas pour permettre à Donald Trump de dénoncer des élections «truquées». S’il devait perdre en novembre, il pourrait invoquer cette raison pour justifier l’invalidité du résultat.

Donald Trump accepterait-il une défaite en novembre?

J’ai quelques doutes à ce sujet. Il y a actuellement de plus en plus de rumeurs selon lesquelles il se retirera avant même le congrès du Parti républicain – cela permettrait d’écarter le risque qu’il soit considéré comme un perdant. C’est une théorie. Mais s’il se présente et perd de justesse, il pourrait simplement ignorer les résultats des élections et tenter de rester à la Maison-Blanche. Cette question est déjà abordée publiquement, puisqu’à ma connaissance, il n’y a pas de précédent. Avec la personnalité de Donald Trump, je pourrais même imaginer un tel comportement – du moins si les élections sont serrées.

C’est la première fois que j’entends parler de cette rumeur selon laquelle Donald Trump pourrait quitter le navire de son propre chef. Cela lui correspond-il? C’est pourtant un battant…

… mais c’est aussi un narcissique on ne peut plus classique. Et l’idée d’abandonner quand la défaite est imminente plutôt que de perdre la face correspond tout à fait à ce type de personnalité. S’il se retire de son propre chef, il pourra probablement mieux vivre avec. Cela étant, il a bien sûr beaucoup à perdre: en tant que président, Donald Trump est protégé contre de nombreux problèmes judiciaires. Et certains Etats, notamment celui de New York, engageront des poursuites contre lui dès lors qu’il ne sera plus en fonction. Je ne sais donc pas à quel point ce scénario est réaliste, mais je pourrais l’imaginer faire cela.

Qui prendrait le relais chez les républicains dans un tel cas de figure?

Le parti républicain devrait clarifier cette question. Au congrès d’investiture du parti en août, on pourrait alors voir différents candidats s’affronter sur plusieurs tours de scrutin jusqu’à ce que l’un d’entre eux obtienne la majorité des voix. Mike Pence, le vice-président de Donald Trump, pourrait par exemple être dans la course. Mais sa proximité avec Donald Trump pourrait également lui être fatale.

Donald Trump aura peu de chances de gagner uniquement avec son noyau d’électeurs. Comment entend-il conquérir les électeurs indécis?

C’est vraiment un problème: il n’a pas encore pu exposer ce qu’il ambitionne d’accomplir dans un second mandat – ni expliquer pourquoi les électeurs indépendants devraient le préférer à Joe Biden. Il avait probablement envie de dire: «Les marchés boursiers se portent bien, l’économie se porte bien, alors votez pour moi.» Et je pense qu’il espère toujours une reprise rapide et nette de l’économie pour pouvoir en reparler. Mais la réalité semble différente à l’heure actuelle et il commence seulement à esquisser d’autres questions. «Law and Order», soit «la loi et l’ordre», est sa réponse au mouvement «Black Lives Matter», par exemple. Mais je doute que cela puisse lui rapporter de nouveaux électeurs. Parce qu’une majorité d’Américains voient désormais ce mouvement d’un bon œil.

Donald Trump arrive à un rassemblement de campagne à Tulsa, dans l’Oklahoma.
Donald Trump arrive à un rassemblement de campagne à Tulsa, dans l’Oklahoma.
Keystone/AP Photo/Evan Vucci

En tant qu’observateur, on a le sentiment que la société américaine est scindée en deux camps hostiles. Cette impression est-elle correcte?

Le pays est en fait beaucoup plus polarisé qu’il ne l’était autrefois. Bien sûr, les Etats-Unis sont encore loin d’une guerre civile, mais il n’y a plus de consensus de base, comme c’était encore le cas dans les années 1980 ou 1990. Combler ces fossés sera donc une mission très importante pour le futur président. A cet égard, il est également intéressant de noter que Joe Biden a adopté un langage très optimiste dans cette campagne électorale. Il parle toujours du pays dans son ensemble et dit des choses comme «Nous ressortirons plus forts de cette crise». Cette rhétorique ressemble à celle de Ronald Reagan à l’époque et cela illustre aussi l’idée de Joe Biden de mener un travail conjoint et constructif sur la société américaine.

Aujourd’hui, miseriez-vous sur une victoire de Donald Trump ou de Joe Biden?

A l’heure actuelle, je miserais sur Joe Biden. Mais je me souviens très bien que le jour des élections de 2016, j’ai affirmé publiquement que Hillary Clinton allait gagner (rires). En quatre mois, énormément de choses peuvent encore se produire. Mais Donald Trump manque de temps s’il veut remettre l’économie sur les rails: l’expérience montre que les électeurs se font leur opinion sur la situation économique chaque année au mois d’août. Donc de jour en jour, il devient de plus en plus difficile pour lui de gagner. C’est pourquoi je miserais – prudemment – sur Joe Biden.

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