ArgentineLa mémoire fracturée? Les défis du futur président Milei
ATS
20.11.2023 - 10:22
L'ultralibéral Javier Milei a été élu dimanche président d'Argentine en proposant une thérapie de choc pour la troisième économie d'Amérique latine à l'inflation record. Il sera confronté, dès son investiture le 10 décembre, à des défis économiques majeurs, mais aussi de gouvernance et de paix sociale.
Keystone-SDA
20.11.2023, 10:22
ATS
Inévitables ajustements
«L'Argentine a depuis des décennies un déficit budgétaire important: une forte culture d'attentes sociales, mais peu de croissance, donc des dépenses qui ne sont plus finançables», résume l'historien Roy Hora, du centre de recherche Conicet.
Le «traitement de choc» promis par le futur président pour équilibrer les comptes vise à réduire à la «tronçonneuse» la dépense publique (de 15%), prévoit des privatisations, afin de parvenir à la discipline budgétaire demandée par le Fonds monétaire international (FMI), auquel le pays s'éreinte a rembourser un prêt de 44 milliards de dollars octroyé en 2018.
Il prône aussi la fin des subventions chroniques (transports, énergie), une libéralisation des prix et la suppression des taxes à l'exportation. M. Milei souhaite «un ajustement beaucoup plus dur» que celui demandé par le FMI.
Cocotte-minute sociale
Sa volonté d'assécher la dépense publique soulève le problème de l'impact social, dans un pays où 40% des habitants vivent sous le seuil de pauvreté et 51% reçoivent une forme d'aide ou des subsides. Sans compter des syndicats au fort pouvoir de mobilisation de rue.
«Réduire les dépenses publiques est compliqué, impacte sur la pauvreté», résume l'économiste Mara Laura Alzua, de l'Université de La Plata. «Il faudrait de fortes incitations à un marché du travail formel pour augmenter les rentrées fiscales». Montagne à gravir, dans un pays où 47% de l'emploi est informel.
«M. Milei apporte avec lui un ingrédient de confrontation politico-sociale, un discours belliqueux, agressif, d'ajustement envers des secteurs, telle la fonction publique, à forte capacité de mobilisation», estime Gabriel Vammaro, politologue à l'université San Martin. «Avec, peut-être, une voie répressive, dont on ne sait pas comment elle pourrait finir».
Le dollar, quels dollars?
La dollarisation de l'économie, pour laisser mourir de sa belle mort un peso argentin en constante dépréciation, est une clef du programme du futur président pour «assécher» l'inflation. Mais comment dollariser un pays en manque de réserves de change, de dollars?
Facile, dit le camp du président élu dimanche: utiliser les dollars que les Argentins économisent depuis des années sous l'oreiller. Le pays «est le troisième au monde en quantité de dollars physiques» détenus. Il s'agirait de leur redonner la confiance et la possibilité de les utiliser.
Près de 170 économistes de divers bords ont, dans un manifeste récent, averti qu'avant d'impacter à terme l'inflation, une dollarisation pourrait avoir l'effet immédiat inverse: dévaluation et inflation.
Quels alliés pour gouverner?
Le parti de M. Milei, La Libertad Avanza, avait fait en 2021 son entrée au Parlement avec trois députés. Il est désormais la 3e force – 38 députés sur 257 – dans une chambre basse sans majorité absolue, mais où le bloc péroniste (centre-gauche) reste dominant (108).
Des alliances, ponctuelles ou durables, seront indispensables, comme avec le bloc de droite Juntos por el Cambio (93 députés). Mais celui-ci n'a jamais paru aussi proche d'imploser, après s'être déchiré sur la question du soutien ou non au futur président au second tour.
Quels amis au-dehors?
Il devra rebâtir des relations avec des pays-clefs pour lesquels il a eu des mots très durs, notamment le Brésil de Lula, la Chine, les deux premiers partenaires commerciaux de l'Argentine, devant l'Union européenne.
«Je ne ferai pas d'affaires avec des communistes. Je suis un défenseur de la liberté, de la paix et de la démocratie», a déclaré M. Milei pour qui ses alliés sont «les Etats-Unis, Israël et le monde libre». Le président brésilien Lula, qu'il avait traité de «communiste corrompu», lui a souhaité dimanche «bonne chance et réussite»
Par contre, il pourrait apporter un ton nouveau sur la question des îles Malouines, où il s'est dit disposé à négocier, non pas la souveraineté argentine, mais une solution à long terme du type de celle qui mena à la rétrocession de Hong Kong à la Chine (1997).
La mémoire fracturée?
Pour la première fois en 40 ans de démocratie, un consensus sur le legs de la dictature (1976-1983) s'est fissuré lors de la campagne, avec la négation par M. Milei du bilan de morts et disparus (30.000 selon les organismes de droits humains). «8.753», selon lui.
Sa référence à une «guerre» (entre guérillas de gauche et Etat) plutôt que «dictature» pour qualifier cette époque a choqué. Enfin, sa demande d'une justice «équitable» pour les militaires actuellement en détention préventive (une centaine) dans le cadre des 360 procédures en cours pour crimes pendant la dictature dérange.
L'héritage de la dictature, sujet hyper-sensible, a jusqu'à présent été épargné par les divisons partisanes. Une rupture pourrait, là aussi, donner matière à mobilisations.