Canal de Panama - Parole d’expert «Les déclarations à l’emporte-pièce de Trump sont dénuées de tout fondement»

Gregoire Galley

13.2.2025

Dans son discours d’investiture, Donald Trump a dit qu’il souhaitait reprendre le contrôle du Canal de Panama en raison de l’influence grandissante de la Chine sur ce haut lieu de passage du commerce maritime mondial. Les propos chocs du Président américain sont-ils réellement fondés ? Éclairage avec Laurent Giacobbi, chercheur associé à l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS) et enseignant à l’Université des Antilles.

Du Panama au Groenland, les menaces d'annexion de Trump

Du Panama au Groenland, les menaces d'annexion de Trump

Donald Trump réaffirme son ambition d'annexer le canal de Panama et le Groenland, par la force si besoin, et menace de faire usage de la "force économique" contre le Canada, qui devrait selon lui "fusionner" avec les Etats-Unis.

10.01.2025

Gregoire Galley

Quels seraient les impacts d’une guerre commerciale entre les Etats-Unis et la Chine pour l’Amérique latine ?

«La guerre commerciale entre la Chine et les Etats-Unis a déjà eu beaucoup d’effets sur l’ensemble du continent américain lors du premier mandat de Donald Trump. Il faut aussi garder à l’esprit que cette guerre commerciale ne concerne pas que la Chine mais également l’Union européenne et les pays latino-américains qui dépendent grandement des Etats-Unis. En revanche, il est important de souligner que cette politique pourrait être contre-productive pour les Etats-Unis quant à leur influence en Amérique latine. En effet, en cas d’augmentation des droits de douane, on peut s’imaginer que certains pays d’Amérique latine s’ouvriraient davantage vers la Chine qui les accueillerait à bras ouverts.»

«Dans le même ordre d’idées, l’immense port de Chancay, au Pérou, a récemment été inauguré par la Président chinois Xi Jinping. Cette infrastructure gigantesque a été construite grâce à des fonds chinois dans le but d’être la grande porte d’entrée du commerce chinois en Amérique latine. Elle est également gérée par une entreprise de l’Empire du Milieu. Cela démontre bien que la Chine ne demande qu’à prendre la place des Etats-Unis sur le continent américain.»

Ces dernières semaines, Donald Trump a multiplié les menaces envers le Canal de Panama. Comment fonctionne-t-il au niveau des taxes et des contrôles des passages des navires ?

«Depuis la rétrocession, le Canal de Panama est géré par une entité hybride, à la fois privée et publique, appelée l’ACP (Autorité du Canal de Panama) qui est entièrement panaméenne et dont les 9 administrateurs sont directement nommés par le Président panaméen. L’ACP gère les droits de passage du canal et génère d’importants bénéfices de l’ordre de près de 5 milliards de dollars en 2024.»

«Cependant, comme toute entreprise, elle paie au Panama des impôts sur ses bénéfices. Grosso modo, la moitié de ses gains revient à l’État panaméen tandis que le reste va dans les caisses de cette agence pour qu’elle ait un stock financier en réserve afin d’assurer l’entretien de cet énorme ouvrage ou encore les travaux pharaoniques à réaliser pour adapter le canal au dérèglement climatique par exemple.»

«La Chine s'implante financièrement, commercialement et diplomatiquement au Panama»

Laurent Giacobbi

chercheur associé à l’IRIS et enseignant à l’Université des Antilles

Quelle est l’influence de la Chine sur le Canal de Panama ?

«Depuis quelques semaines, la Chine est, effectivement, le chiffon rouge qu’agite Donald Trump. Il faut savoir que le canal de Panama est un goulet d’étranglement du commerce maritime international. Même s’il est moins important que le Canal de Suez en termes de passages, il revêt d’une importance capitale pour les Etats-Unis pour des questions géographiques en lien avec le transport maritime entre la Côte Est et la Côte Ouest. Le canal de Panama est donc beaucoup plus précieux pour les Etats-Unis que pour le reste du monde. La Chine n’en est que le 2e utilisateur, loin derrière les États-Unis.»

«Or, depuis le début des années 2010, la présence américaine autour du Canal est remise en cause par la Chine. En effet, cette dernière investit massivement en Amérique latine et plus particulièrement au Panama où elle finance d’immenses infrastructures pour moderniser le Canal. En outre, elle contrôle, via l’entreprise Hutchison Ports basée à Hong-Kong, les deux ports situés aux extrémités du canal. Cette influence grandissante se traduit aussi sur le plan diplomatique. Pour preuve, depuis 2017, Panama reconnait la Chine et non plus Taïwan. Dans la foulée, le Panama est devenu le premier pays latino-américain à intégrer le grand programme chinois des routes de la soie.»

«Ainsi, on voit bien que, petit à petit, la Chine s'implante financièrement, commercialement et diplomatiquement dans ce petit pays qui est un nœud important du commerce maritime mondial et de la géopolitique de l’Amérique latine. Dans ces conditions, il est compréhensible que l’administration américaine soit interpellée, qui plus est, dans un contexte de relance de la guerre commerciale contre la Chine.»

«Nous allons reprendre le contrôle du canal de Panama», a fermement lancé Donald Trump qui a aussi récemment intimidé le Canada et Le Groenland. Pourquoi utilise-t-il cette rhétorique agressive ?

«Les déclarations à l’emporte-pièce du Président Trump sont dénuées de tout fondement dans la mesure où le Panama n’offre pas de tarifs préférentiels aux navires chinois. Le Républicain a également parlé de la présence de soldats chinois aux alentours du Canal alors que, jusqu’à preuve du contraire, il n’y en a pas. Cependant, il y a une vraie concurrence qui a été mise en place par la Chine dans un pays que les Américains considèrent comme leur arrière-cour. Mais en même temps, il y a aussi une exagération de la situation, qui est tout à fait typique de la rhétorique trumpienne, par rapport à la réalité de la menace que pourrait représenter la Chine dans cette région.»

«Néanmoins, pour tenter de mieux comprendre les déclarations de Donald Trump, il faut les analyser à différentes échelles et sur différents plans. Cela signifie que si on se limite à l'échelle locale, c'est-à-dire le canal de Panama, effectivement, il est difficile de comprendre pourquoi s'acharner sur un si petit pays.»

«En revanche, si on élargit le zoom et qu'on essaie de réfléchir à l'échelle continentale, on peut saisir cette rhétorique comme étant la volonté de sécuriser les grandes routes maritimes dans une logique commerciale. De ce fait, reprendre le contrôle du Canal de Panama, c’est contrôler les flux du commerce international des Etats-Unis mais aussi de leur commerce interne entre la Côte Est et la Côte Ouest. Cette logique s’applique aussi quand Donald Trump menace le Canada et le Groenland.»

«En effet, au-delà des ressources que pourraient offrir ces territoires, le réchauffement climatique et la fonte des glaces pourraient ouvrir à la circulation maritime le passage du Nord-Ouest à l’horizon 2050. Ainsi, à l’échelle internationale, on peut légitimement considérer que Donald Trump est vraiment dans une logique de sécurisation des grandes routes maritimes internationales dans un contexte de tensions grandissantes avec la Chine.»

Comment Donald Trump pourrait-il ramener le Canal de Panama dans le giron américain ?

«Avec ses propos chocs, Donald Trump met un gros coup de pression diplomatique sur le Panama mais aussi sur l’ensemble des pays d’Amérique latine. Son objectif est de montrer que les Etats-Unis sont de retour sur le continent avec leur diplomatie du «big stick» (NDLR : doctrine qui vise à faire assumer aux Etats-Unis le rôle de gendarme du continent américain afin de maintenir la stabilité géopolitique de la région) dans une tradition qui remonte au début du XIXe siècle.»

«Ainsi, Trump met en garde les pays qui entretiennent des relations trop amicales avec la Chine. Il est assez intéressant de constater que ses déclarations ont été immédiatement suivies d’effets au Panama. Si logiquement le Président panaméen, José Raúl Mulino, a réaffirmé la souveraineté du Panama sur l'intégralité de son territoire, il est intéressant de constater qu’il a en même temps annoncé que son pays se retirait des routes chinoises de la soie.»

«Dans le même ordre d’idées, une commission d’enquête a été mise en place, en quelques jours, afin de vérifier la gestion des deux ports chinois situés aux extrémités du Canal. Même si on ne peut pas connaître à l'avance les conclusions cette commission d'enquête, le simple fait qu'elle existe, représente déjà, d’une certaine manière, une victoire pour Trump et sa méthode diplomatique peu orthodoxe.»

Dans les années 1970, le rôle clé de Carter

Si le premier coup de pioche dans la zone du Canal de Panama a été l’œuvre de la France en 1881, ce sont les Etats-Unis qui l’ont achevé et inauguré en 1914. Ainsi, jusqu’à la fin des années 1970, il est géré par l’Oncle Sam qui encaisse la majorité des bénéfices générés par les passages des navires. En revanche, la donne change à la fin des années 1970 avec l’arrivée de Jimmy Carter à la Maison Blanche conjuguée au développement de mouvements panaméens réclamant la rétrocession du Canal. «A l’inverse de son prédécesseur, le Républicain Richard Nixon, qui appliquait la doctrine du «big stick», Jimmy Carter prône la diplomatie des bons sentiments. Cela signifie qu’il place au cœur de son activité diplomatique la défense des droits humains et le respect de ses interlocuteurs, dont fait partie le Panama», précise Laurent Giacobbi, chercheur associé à l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS) et enseignant à l’Université des Antilles. Finalement, les revendications panaméennes et la diplomatie de Jimmy Carter aboutissent à la rétrocession du Canal à la suite de la signature des traités de Torrijos-Carter. La restitution en tant que telle va prendre une vingtaine d'années, le temps que les États-Unis se retirent et que le Panama mette en place une structure ad hoc pour gérer le Canal.