«Vie de prison»A Singapour, l’interminable confinement des travailleurs étrangers
ATS
15.11.2021 - 09:09
Keystone-SDA
15.11.2021, 09:09
ATS
Depuis 18 mois, MD Sharif Uddin, travailleur immigré à Singapour, doit passer ses jours de repos dans un dortoir surpeuplé. Il n'a plus accès aux espaces publics à cause de règles strictes imposées aux migrants contre le Covid-19.
Les migrants venus d'Asie du Sud pour travailler dans la riche cité-Etat sont plus de 300'000 à vivre dans de vastes foyers avec des chambres d'une douzaine de lits superposés.
Au début de la pandémie, le nombre de cas de Covid-19 a vite flambé dans ces complexes qui fournissent cantine, magasins et autres services pour les migrants. Des restrictions et un système de traçage drastiques ont été imposés dans toute l'île d'Asie du Sud-Est pour contenir le virus.
«Comme la prison»
Ces restrictions ont pour l'essentiel été levées malgré une nouvelle forte vague épidémique, et les Singapouriens ou résidents vaccinés peuvent librement faire du shopping, aller au restaurant et bientôt voyager.
Mais la situation est tout autre pour les migrants qui ne peuvent, sauf rares exceptions, qu'aller travailler ou rester dans leur hébergement. «C'est une vie très douloureuse (...) comme la prison», explique Sharif Uddin, un travailleur du bâtiment qui regrette le temps où il pouvait se réunir avec ses amis pour siroter un café, réciter de la poésie et partager les derniers potins.
«Nous ne sommes autorisés qu'à aller au travail et à la maison, nulle part ailleurs. C'est comme être assigné à résidence», se plaint l'homme de 43 ans qui a travaillé à Singapour 13 ans et écrit deux livres sur son expérience.
Ces migrants sont parfois autorisés à aller dans des centres de loisirs spécialement conçus pour eux où l'on trouve des magasins et des installations sportives.
De la «matière première»
Quand les dortoirs, souvent situés dans des zones isolées, sont devenus l'épicentre de la première vague de Covid-19, le pays a pris soudainement conscience des conditions de vie des migrants. Des appels ont été lancés pour améliorer le sort de cette main-d'oeuvre indispensable à la construction de gratte-ciel, au nettoyage des résidences et à la maintenance des transports publics.
Le gouvernement a promis de nouveaux dortoirs avec des équipements modernes et plus d'espace pour les résidents. Mais les restrictions pour les migrants ont été maintenues et peu a changé dans la vie quotidienne de ces salariés qui gagnent entre 500 et 1000 dollars singapouriens (340 à 681 francs) par mois dans l'une des villes les plus chères au monde.
«Notre gouvernement ne les considère pas vraiment comme des humains», remarque Alex Au, vice-président du groupe de défense des droits des migrants Transient Workers Count Too. Les autorités traitent les migrants comme «de la matière première» et ne leur «accordent pas les mêmes droits et les mêmes libertés que celles dont bénéficient nos citoyens», dit-il à l'AFP.
Face aux critiques, le gouvernement de l'île de 5,5 millions d'habitants a organisé des sorties occasionnelles pour les migrants dans certains lieux autorisés. Quelque 700 travailleurs ont participé à ce programme en septembre, et il a été étendu à 3000 migrants par semaine. Mais cela ne concerne qu'une petite fraction des migrants.
«Problèmes psychologiques»
Les autorités considèrent que les restrictions pour les migrants qui viennent essentiellement du Bangladesh, d'Inde ou de Chine, sont nécessaires face au risque élevé de transmission du virus lié à leurs conditions d'hébergement. Pourtant, 98% des travailleurs migrants sont vaccinés, un taux plus élevé que celui de la population singapourienne qui est de 85%.
«L'assouplissement des restrictions de circulation devra être fait d'une façon calibrée et prudente», a souligné le ministre du Travail Tan See Leng au Parlement récemment.
Cela ne réconforte pas Amir, un migrant du Bangladesh qui a soif de liberté. «La nature, les espaces ouverts me manquent», dit le travailleur du bâtiment de 32 ans qui préfère utiliser un pseudonyme. «Notre vie se limite à notre dortoir et au site de construction. Nous ne pouvons pas nous déplacer (...), aller à l'extérieur».
Pour Sharif Uddin, il est urgent de remédier à la situation. Les migrants font face «à des problèmes psychologiques», et «leurs droits fondamentaux en tant que travailleurs et êtres humains» ne sont pas respectés, dit-il. «Cette vie de prison n'est pas saine».