«Fiasco» ou «voix singulière»? Macron sème le trouble parmi ses alliés avec des propos sur Taïwan

ATS

11.4.2023 - 16:36

Le président français Emmanuel Macron était mardi sous le feu des critiques des deux côtés de l'Atlantique après ses propos sur Taïwan. Il avait appelé l'Union européenne à ne pas être «suiviste» des Etats-Unis ou de la Chine sur ce dossier.

Le président français Emmanuel Macron et son épouse Brigitte Macron assistent à une cérémonie de dépôt de gerbes à Amsterdam, aux Pays-Bas, le mardi 11 avril 2023.
Le président français Emmanuel Macron et son épouse Brigitte Macron assistent à une cérémonie de dépôt de gerbes à Amsterdam, aux Pays-Bas, le mardi 11 avril 2023.
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Keystone-SDA

De retour d'un voyage en Chine, le dirigeant français a déclaré au site américain Politico et au quotidien français Les Echos que l'Europe ne devrait pas s'aligner sur Washington ou Pékin en cas de conflit à propos de Taïwan. «La pire des choses serait de penser que nous, Européens, devrions être suivistes» et «nous adapter au rythme américain et à une surréaction chinoise», a déclaré Emmanuel Macron.

L'Elysée met notamment en avant la nécessité d'une «Europe souveraine» et «d'une autonomie stratégique». Les propos du président reflètent également la volonté de ne pas jeter de l'huile sur le feu face à une possible escalade entre la Chine et les Etats-Unis.

«Impasse géopolitique»

Nombre d'analystes et politiciens en Europe et aux Etats-Unis s'interrogent sur l'opportunité de ces propos au moment où Washington assure la sécurité de l'Europe en soutenant politiquement, militairement et financièrement l'Ukraine et alors même qu'un conflit entre les deux premières puissances mondiales sur Taïwan aurait des répercussions pour les Européens.

«La politique de Macron conduit l'Europe dans une impasse géopolitique», a tweeté le député allemand conservateur Norbert Röttgen, soulignant que cela ne conduisait pas à la souveraineté, mais à l'isolement. «L'Europe doit devenir plus indépendante, non pas contre les Etats-Unis mais en partenariat avec nos alliés transatlantiques. Un ordre mondial façonné par Xi n'est pas dans l'intérêt de l'Europe!», a-t-il ajouté.

Pour le député social-démocrate allemand Metin Hakverdi, il s'agit d'une «grave erreur» que l'Occident se laisse diviser dans sa position vis-à-vis de Pékin. «Cela affaiblit la communauté de valeurs occidentales».

A Washington , la Maison Blanche avait cherché lundi à dédramatiser la polémique, estimant que les Etats-Unis entretenaient une «relation bilatérale formidable» avec la France.

Mais le sénateur républicain Marco Rubio a publié une vidéo suggérant que Washington devrait repenser ses propres priorités: «Si Macron parle au nom de toute l'Europe, et leur position est que maintenant, ils ne vont pas choisir leur camp entre les Etats-Unis et la Chine sur Taïwan, peut-être devrions-nous pas non plus prendre parti... et (les laisser) gérer l'Ukraine».

Propos «inopportuns»

Pour les experts, les propos de M. Macron sont «inopportuns» alors que le président français Macron a déjà eu des prises de positions irritantes pour certains de ses alliés, comme son diagnostic de «mort cérébrale» de l'Otan en 2019 et plus récemment sa volonté de ne pas «humilier» la Russie lorsque la guerre russe en Ukraine se terminera.

«C'est inopportun et contradictoire car s'il y a une crise dans le détroit de Taïwan les intérêts de la France et de l'Union européenne seront immédiatement affectés», affirme à l'AFP Marc Julienne, chercheur à l'Institut français des relations internationales (Ifri). «La question du détroit de Taïwan est justement notre affaire».

Pour Antoine Bondaz, spécialiste de la Chine à la Fondation pour la recherche stratégique, «en termes de communication, c'est un fiasco» car Emmanuel Macron laisse entendre que Washington est responsable des tensions autour de Taïwan plutôt que la Chine.

De tels propos pourraient laisser Pékin penser que la France, voire l'Europe, n'interviendrait pas si la Chine envahissait et prenait le contrôle de Taïwan, estime l'expert. «Cela affaiblit la dissuasion».

Une voix «singulière»

Face au tollé, l'Elysée a défendu la posture du président: L'Europe «doit pouvoir faire entendre sa voix singulière». Le ministre français de l'Economie, Bruno Le Maire, a estimé que M. Macron avait «parfaitement raison de réclamer l'indépendance et la souveraineté européenne comme il le fait depuis 2017».

Ancien conseiller d'Emmanuel Macron, Stéphane Séjourné a appelé à ne pas «caricaturer les propos» du président, soulignant que ce dernier souhaitait que l'Europe et la France puissent jouer «un rôle de désescalade». «Et dans ce cadre-là, évidemment, nos alliés sont les Américains», a-t-il assuré.

Mais pour Marc Julienne, «le risque est que Macron ait porté atteinte ou égratigné cette unité européenne en construction».

Pour James Laurenceson, directeur de l'Institut des relations Australie-Chine à la University of Technology Sydney (UTS), cité par la chaîne publique australienne SBS, le président français a mal choisi son moment mais n'a fait «qu'énoncer une réalité»: la probabilité d'un conflit entre Pékin et Washington. «C'est franchement un point de vue que partage le gouvernement australien».