Prigojine hors jeu, l'armée à bout de souffle «Maintenant, Poutine fait le ménage»

Philipp Dahm/Trad

30.6.2023

Après l'interruption de la révolte, Vladimir Poutine fait place nette avec un balai de fer. Le vainqueur de la lutte pour le pouvoir avec Evgueni Prigojine est Sergueï Choïgou. Les critiques à l'encontre du ministre de la Défense sont pourtant très justifiées.

Après l'interruption de la révolte, Vladimir Poutine fait place nette avec un balai de fer. (archives)
Après l'interruption de la révolte, Vladimir Poutine fait place nette avec un balai de fer. (archives)
KEYSTONE

P. Dahm

Les soldats en ont assez. 150 hommes composaient autrefois l'unité Storm Z, composée d'ex-détenus russes. «Voilà ce qu'il en reste», dit leur porte-parole le 28 juin: derrière lui se tiennent 16 ou 17 camarades. Ils n'auraient pas reçu de munitions, pas de nourriture, pas d'eau. Ni les blessés ni les corps ne seraient évacués. «Ils venaient d'arriver du front - et maintenant ils doivent y retourner», se plaint le porte-parole.

«Nous ne reviendrons jamais d'ici», crie l'un d'eux à l'arrière-plan. Et le porte-parole d'ajouter que l'on n'ira plus au front, mais que l'on se rendra à la police militaire. «Si quelqu'un meurt, ce n'est pas sur le front. Il a alors simplement été exécuté par ses propres hommes».

Le FSB a appris l'insurrection deux jours auparavant

La vidéo confirme les critiques qu'Evgueni Prigojine n'a cessé de formuler : les soldats sont à bout et privés d'armes et de munitions - dans le cas du groupe Wagner, afin que celui-ci perde en influence par rapport à l'armée régulière.

Lorsque le ministre de la Défense Sergueï Choïgou décide de prendre tous les mercenaires sous contrat avec l'armée au 1er juillet, Evgueni Prigojine s'y oppose dans un premier temps. Mais Vladimir Poutine soutient Choïgou - et Prigojine commence à planifier sa rébellion contre le commandement militaire.

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La mutinerie était «largement connue dans les milieux de la sécurité russe», rapporte le «Financial Times». Le 21 juin, le service de renseignement FSB a eu vent de l'affaire, dévoile le «Wall Street Journal». Les insurgés parcourent 800 kilomètres en 14 heures et abattent six hélicoptères et un avion. Treize soldats sont tués.

D'autres arrestations devraient suivre

Lorsque la rébellion prend fin brutalement, les mercenaires de Wagner sont salués par des applaudissements à Rostov. Mais les purges commencent alors : «Poutine était au courant [des plans de Prigojine] à l'avance et a pu se préparer dans une certaine mesure», explique un officiel occidental au Financial Times. «Il pouvait voir qui faisait quoi ce jour-là. Et maintenant, il fait le ménage».

Prigojine s'exile alors en Biélorussie. Ses soldats peuvent le suivre là-bas, s'engager dans l'armée régulière ou mener une vie civile. Le général Sergei Surovikin, censé être un proche du patron de Wagner, est arrêté. «Nous partons du principe que d'autres personnes suivront», déclare le responsable occidental.

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La dissolution du groupe Wagner est en marche. Les affiches de recrutement disparaissent de la vie publique, le ministère de la Défense retire leur matériel lourd et les mercenaires ne doivent plus être utilisés en Ukraine, fait savoir Moscou.

Choïgou grand vainqueur de la crise

Le vice-ministre des Affaires étrangères s'est spécialement rendu à Damas, puis au Mali, pour faire comprendre que Wagner ne peut plus travailler de manière indépendante à l'étranger non plus. On ne sait toutefois pas encore qui prendra les commandes là-bas.

Le grand gagnant de la lutte pour le pouvoir est le ministre de la Défense, estime Tatiana Stanovaya du Carnegie Russia Eurasia Centre. Il n'a pas seulement réussi à éliminer Wagner, mais aussi à écarter ses détracteurs. «Quel qu'ait été le rôle réel de Sourovikine, Choïgou sera tenté de le présenter comme un conspirateur. Il est très facile de transformer des sympathisants en conspirateurs».

Autre gagnant, Viktor Solotov, le chef de la Garde nationale : celle-ci doit désormais recevoir de l'artillerie lourde et des chars afin d'éviter une répétition du soulèvement. La garde nationale doit en outre être davantage déployée en Ukraine.

Le moral des soldats russes est en berne

Vladimir Poutine s'efforce désormais d'éviter de donner une impression de faiblesse à l'opinion publique. Cela se reflète dans la propagande russe qui, depuis le soulèvement de Prigojine, tient des propos particulièrement euphoriques sur le président.

Il est peu probable que cela ait un impact quelconque sur les soldats au front. Ils n'ont pas oublié les critiques de Prigojine à l'encontre du commandement militaire, mais doivent désormais voir comment le Kremlin s'accroche à Choïgou et Gerassimov. Ils voient que ce sont surtout les pauvres et les minorités ethniques qui sont enrôlés, tandis que les Blancs de Moscou et de Saint-Pétersbourg restent chez eux.

Ils constatent aussi que des adversaires traversent la frontière russe pour se rendre à Belgorod sans que personne ne leur résiste. Ils comprennent que l'Occident ne cessera pas son aide militaire à Kiev et savent que la Russie ne peut pas gagner une telle course à l'armement. Ils vivent dans la peur des drones et de l'artillerie, mais s'ils s'enfuient, ils seront abattus par leurs propres hommes. Combien de temps cela va-t-il durer ?

A cela s'ajoutent des attentats récurrents sur le front intérieur. Le fait est que même après le départ en exil de Prigojine et l'arrestation du général Surovikin, la situation sécuritaire en Russie reste précaire. Même si Wagner est dissous, le feu que Prigojine a allumé continuera à couver dans l'ombre.