Souvenirs qui ressurgissent Des Européens tétanisés et hantés par «l'esprit de Munich»

ATS

16.2.2025 - 08:11

Ils veulent repousser le spectre de la funeste conférence de 1938. Mais à la Conférence de Munich sur la sécurité, les Européens sont apparus tétanisés par l'ouverture sans eux de négociations entre Américains et Russes.

Retour en 1938, Le premier ministre Edouard Daladier discutait avec Adolf Hitler. Aujourd'hui, la cicatrice laissée par la Deuxième Guerre mondiale est plus douloureuse que jamais.
Retour en 1938, Le premier ministre Edouard Daladier discutait avec Adolf Hitler. Aujourd'hui, la cicatrice laissée par la Deuxième Guerre mondiale est plus douloureuse que jamais.
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Keystone-SDA

Au rendez-vous annuel du gotha de la diplomatie et de la sécurité, plusieurs dirigeants européens ont mis en garde contre la tentation d'une politique d'«apaisement» vis-à-vis de Moscou, inquiets des concessions qu'a d'emblée faites Washington. Les responsables américains ont exclu que l'Ukraine puisse adhérer à l'Otan ou déployer des troupes américaines pour garantir un cessez-le-feu.

«Je ne crois pas en l'apaisement, c'était mauvais à Munich en 1938, ça l'est encore aujourd'hui», a jugé la Première ministre danoise Mette Frederiksen. Si les Européens et l'Ukraine étaient exclus des négociations, «nous retomberions dans l'esprit de Munich que la Tchécoslovaquie connaît bien», a abondé le président tchèque Petr Pavel.

Parallèle «valable»

A Munich en 1938, les Premiers ministres britannique Neville Chamberlain et français Edouard Daladier avaient cédé aux revendications territoriales d'Adolf Hitler sur les Sudètes, région majoritairement germanophone de la Tchécoslovaquie, permettant le dépeçage le pays en espérant éviter ainsi une guerre,

Le «parallèle» avec 1938 reste valable pour la cheffe de la diplomatie européenne Kaja Kallas. «Les Ukrainiens se battent et il nous est demandé de les soutenir afin qu'il n'y ait pas de guerre mondiale», selon elle.

Les Ukrainiens eux-mêmes appellent «à ne pas répéter les erreurs de Munich», selon les mots du ministre des Affaires étrangères Andrii Sybiha.

«Tétanisés»

Pour autant, les Européens restent pour l'heure incapables d'offrir leur vision d'une stratégie pour mettre fin à la guerre en Ukraine, répétant leur volonté de continuer à soutenir Kiev aussi longtemps que nécessaire et de prendre part aux négociations.

Elie Tenenbaum, de l'Institut français des relations internationales (Ifri), y voit «une forme de paralysie, voire de tétanie européenne face à l'attitude américaine»,

«Il y une incapacité à se projeter sur une action qui se ferait sans leadership américain, voire à fortiori sans coordination avec les Etats-Unis» pour des Européens «aujourd'hui spectateurs de leur propre destin», affirme l'expert à l'AFP.

Garanties de sécurité

Plutôt que de s'exténuer à suivre les déclarations parfois contradictoires de Donald Trump, les Européens devraient se concentrer sur l'élaboration de leur propre position, insiste pour sa part Armida van Rij, chercheuse au centre de réflexion Chatham House.

Selon elle, «l'Europe doit mettre sur la table une offre claire et tangible qui l'inclut dans les négociations sur la guerre». «Il n'y a pas de temps à perdre», abonde sur X le Premier ministre polonais Donald Tusk.

Au coeur de l'enjeu, les garanties de sécurité que l'Europe pourrait apporter à l'Ukraine. «Ce sont des discussions qui ont d'ores et déjà commencé, puisque c'est notre avenir qui est en jeu, la sécurité du continent européen», selon le chef de la diplomatie française Jean-Noël Barrot, qui convient qu'il «faut passer aux actes».

Européens divisés

Mais l'Europe est désunie, entre ceux qui redoutent une guerre majeure dans les années à venir (France, Royaume-Uni, Pologne, pays baltes...) et, à l'autre bout du spectre, ceux qui tendent les bras au président russe Vladimir Poutine (la Hongrie notamment).

Volodymyr Zelensky a dit fin janvier avoir besoin de 200'000 hommes, correspondant à la force déployable en 30 jours en cas de conflit dans les plans de l'Otan, comprenant donc les Américains. Une force que les Européens ne peuvent à eux seuls fournir.

«Coalition de volontaires»

D'autant qu'un déploiement, après un cessez-le-feu, de troupes provenant d'une coalition de pays volontaires est loin d'être acté. Il faudrait déjà définir clairement des règles d'engagement, estime le Premier ministre suédois Ulf Kristersson.

Pour lui, «avant de déployer des troupes sur le terrain, vous devez d'abord vraiment réfléchir à ce qui devrait se passer si ces troupes étaient attaquées».

Pour Elie Tenenbaum, «le problème avec cette coalition de volontaires, c'est que si les Américains ne sont pas impliqués dans le dispositif, la quasi-totalité des Européens (...) se sentent incapables d'assurer ne serait-ce que les premiers barreaux de l'escalade avec la Russie».