Il y a 100 ans, le Traité de LausanneNouvelle ère pour les uns, rêve brisé pour les autres
gsi, ats
19.7.2023 - 11:22
Il y a presque 100 ans, le 24 juillet 1923, le Traité de Lausanne chamboulait le Proche-Orient. Il fixait les frontières de la Turquie moderne et ruinait les aspirations d'autonomie de plusieurs communautés, kurde et arménienne notamment.
19.07.2023, 11:22
ATS
«De tous les traités de paix signés après la Première Guerre mondiale, c'est le dernier à encore déployer ses effets aujourd'hui», souligne l'historien Antoine Fleury, professeur émérite de l'Université de Genève, interrogé par Keystone-ATS.
Avant le Traité de Lausanne, il y a eu le Traité de Sèvres, près de Paris, signé en 1920 et censé régler le démembrement de l'Empire ottoman. Ce premier traité «punit» les vaincus de la guerre et attribue un maigre territoire à la Turquie. Il est vécu comme «une humiliation» par les nationalistes turcs qui, sous la conduite de Mustafa Kemal, futur Atatürk, vont se rebeller, raconte M. Fleury.
Fort d'une victoire militaire sur les forces grecques dans la plaine anatolienne, mais aussi d'un soutien soviétique, Atatürk parvient à imposer une renégociation du traité. Cela sera à Lausanne, où la Turquie obtient «un nouveau tracé de frontières et une souveraineté complète, débarrassée des ingérences étrangères», indique M. Fleury. Trois mois plus tard, Atatürk proclame la République, transformant un Etat islamique encore médiéval en un Etat laïc moderne.
Trahison
A l'inverse, les Arméniens, encore marqués par le génocide perpétré dès 1915, perdent leur rêve d'Arménie réunifiée, tandis que les Kurdes voient s'échapper celui d'un Kurdistan, comme l'esquissait le Traité de Sèvres. «Lausanne est synonyme de trahison, de traumatisme profond pour ces peuples. Et cela dure encore aujourd'hui», souligne l'historien.
Cette trahison est celle des grandes puissances, Grande-Bretagne et France en tête, elles qui ont «retourné leurs vestes» après le Traité de Sèvres pour diverses raisons géopolitiques et économiques, entre «peur» des Soviétiques et préservation de territoires riches en pétrole, explique M. Fleury. «Il y a eu beaucoup de lâcheté», ajoute-t-il, au sujet du sort réservé aux minorités de l'ancien Empire ottoman.
Le traité institue également de vastes échanges forcés de population, basés sur l'appartenance religieuse, entre la Turquie et la Grèce, qui feront de très nombreux morts.
Mussolini et Hemingway
A Lausanne, deux cycles de négociations sont nécessaires – du 21 novembre 1922 au 4 février 1923, puis du 23 avril 1923 au 24 juillet 1923 – avant la signature du Traité. Plusieurs personnalités politiques de haut rang défilent, à l'instar de Lord George Curzon et Raymond Poincaré, les ministres britannique et français des affaires étrangères. Ils côtoient le nouveau chef du gouvernement italien, Benito Mussolini.
Côté turc, la délégation est dirigée par le général Ismet Pacha, futur président du pays. Arméniens et Kurdes n'ont pas leur mot à dire. «Ce sont des discussions entre grandes puissances. Le traité n'est pas négocié dans le cadre de la Société des nations», souligne M. Fleury.
Plusieurs lieux emblématiques de la capitale vaudoise sont réquisitionnés, le château d'Ouchy pour les négociations, le palais de Rumine pour la signature du traité ou encore le casino de Montbenon pour la cérémonie d'ouverture. Les palaces de la ville, Beau-Rivage, Lausanne Palace et Savoy, servent à accueillir les délégations.
Quelque trois cents journalistes, débarqués du monde entier, suivent les négociations, dont le pas encore célèbre Ernest Hemingway, correspondant du «Toronto Star».
Eloge de la neutralité
Si Lausanne a été retenue pour ces négociations, c'est avant tout en raison de la neutralité suisse, remarque Antoine Fleury, ancien directeur également des Documents diplomatiques suisses. «C'était aussi un lieu de villégiature réputé, facilement accessible par le train», grâce notamment à l'Orient-Express et à la percée du tunnel du Simplon.
Dans son discours d'ouverture, rapporté par la Ville de Lausanne sur son site internet, Lord Curzon fait l'éloge de cette neutralité helvétique. «C'est la première fois, Messieurs, que nous nous rencontrons dans un pays neutre et, si l'on devait choisir un pays neutre, il n'en était pas au monde qui eût plus de titres que la Suisse», avait-il déclaré.