Thaïlande Nouvelles manifestations à Bangkok

ATS

17.10.2020 - 18:10

Des dizaines de milliers de militants pro-démocratie ont bravé samedi, pour la troisième journée de suite, l'interdiction de rassemblement à Bangkok. Ils ont réclamé la démission du Premier ministre et une réforme de la monarchie, avant de se disperser dans le calme.

Les tensions de vendredi, où la police a évacué les protestataires à l'aide de canons à eau et procédé à une série d'interpellations, n'ont pas dissuadé la contestation étudiante. Samedi, cette dernière s'est déployée sur plusieurs sites hors du centre-ville, rendu difficile d'accès après la fermeture de toutes les lignes de métro par les autorités.

Trois doigts levés

Des milliers de personnes se sont rassemblées dans le nord de la mégalopole, scandant «Prayut va te faire foutre!» et levant trois doigts, un geste de résistance emprunté au film «Hunger Games».

De l'autre côté de la rivière Chao Phraya, des milliers de protestataires ont crié «Vive le peuple, à bas la dictature!«, tandis que d'autres bloquaient la circulation dans le sud-est de la ville, arborant des panneaux: «Vous ne pouvez pas nous tuer, nous sommes partout».

Panupong «Mike» Jadnok, une tête d'affiche de la contestation, a été interpellé, selon des images retransmises en direct sur les réseaux sociaux. Il est poursuivi pour avoir violé l'interdiction de rassemblement. D'autres manifestations ont eu lieu dans le pays.

La monarchie, sujet tabou

Le mouvement, qui défile depuis trois mois, réclame la démission du Premier ministre Prayut Chan-O-Cha, porté au pouvoir par un coup d'Etat en 2014 et légitimé par des élections controversées l'année dernière. Il ose aussi demander une réforme de la puissante et richissime monarchie, un sujet tabou dans le pays il y a peu.

Le roi Maha Vajiralongkorn n'a pas directement commenté les événements en cours, mais déclaré à la télévision publique que la Thaïlande a «besoin d'un peuple qui aime son pays, d'un peuple qui aime l'institution» que représente la monarchie.

La situation suscite un fort engouement international: samedi soir le hashtag #mobOctober17 était numéro un sur Twitter.

Dizaines d'arrestations

Jeudi et vendredi, plusieurs milliers de personnes s'étaient déjà réunies dans le centre de la capitale, malgré la promulgation d'un décret d'urgence interdisant tout rassemblement de plus de quatre personnes.

Des dizaines de personnes ont été interpellées ces quatre derniers jours, dont neuf leaders du mouvement pro-démocratie. Certains ont été libérés sous caution, d'autres comme Anon Numpa, particulièrement virulent envers la royauté, ont été emprisonnés dans le nord du pays.

«Arrestations arbitraires»

Le parti d'opposition Pheu Thai a appelé le gouvernement à lever immédiatement les mesures d'urgence et à libérer les personnes détenues.

Le décret promulgué est «un feu vert» donné aux autorités «pour violer des droits fondamentaux et opérer des arrestations arbitraires en toute impunité», a condamné l'ONG Human Rights Watch, appelant la communauté internationale à réagir.

«Ne violez pas la loi, (...) je ne démissionnerai pas», a mis en garde vendredi le général Prayut Chan-O-Cha, ajoutant que les mesures d'urgence seraient appliquées pendant une période maximale de 30 jours. Un couvre-feu n'est pas exclu dans la capitale.

Le militaire est au pouvoir depuis qu'il a renversé, par un coup d'Etat en 2014, Yingluck Shinawatra, soeur de l'ex-Premier ministre Thaksin Shinawatra.

«Des centaines de milliers de personnes demandent aujourd'hui des changements», a relevé cette dernière sur Twitter, exhortant Prayut Chan-O-Cha à tout faire pour «restaurer la paix».

Crise économique

Aux tensions politiques s'ajoute une grave crise économique. Tributaire du tourisme et verrouillée depuis la pandémie de coronavirus, la Thaïlande est en pleine récession avec des millions de personnes sans emploi.

Les autorités ont motivé la promulgation des mesures d'urgence en dénonçant notamment des incidents mercredi à l'encontre d'un cortège royal.

Plusieurs dizaines de manifestants, en marge d'un grand rassemblement pro-démocratie, avaient levé trois doigts devant le véhicule de la reine Suthida, en signe de défi. Deux activistes ont été interpellés et mis en examen pour «violence envers la reine», une accusation rarissime, passible de la prison à vie.

La Thaïlande est habituée aux violences politiques, avec 12 coups d'Etat depuis l'abolition de la monarchie absolue en 1932. Vu la situation et le durcissement des positions, «la probabilité d'une autre prise de contrôle du pays par les militaires est envisageable», selon Thitinan Pongsudhirak, politologue à l'université Chulalongkorn de Bangkok.

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