Marine Le Pen, dont le parti du Rassemblement national (RN) est aux portes du pouvoir en France, a fait monter les enchères à trois jours du premier tour du scrutin. Elle a affirmé que le titre de «chef des armées» pour le président de la République n'était qu'"honorifique», s'attirant les foudres du camp présidentiel et de ses alliés.
En cas de franc succès du RN, Marine Le Pen a esquissé, dans un entretien au journal Télégramme, une cohabitation dure avec le président de centre droit Emmanuel Macron: «Chef des armées, pour le président, c'est un titre honorifique puisque c'est le Premier ministre qui tient les cordons de la bourse». Conséquence, selon elle: «sur l'Ukraine, le président ne pourra pas envoyer de troupes», alors qu'Emmanuel Macron a refusé d'exclure cette option.
Le poste de Premier ministre reviendra au parti d'extrême droite, probablement au dirigeant du RN Jordan Bardella, s'il gagne la majorité absolue à l'Assemblée au terme des scrutins des 30 juin et 7 juillet.
«La Constitution n'est pas honorifique», a rétorqué sur X le ministre des Armées Sébastien Lecornu, rappelant qu'en vertu de ce texte, le président de la République «négocie et conclut les traités», «est le chef des armées, «préside à la défense».
Auparavant, Marine Le Pen avait semblé nuancer ses propos initiaux sur X, en évoquant «le domaine réservé du Président de la République» sur ces sujets sensibles de politique étrangère et de défense mais elle a maintenu que «le Premier ministre a, par le contrôle budgétaire, le moyen de s'opposer» à l'envoi de troupes à l'étranger.
Lignes rouges
«Si nous arrivons aux responsabilités (...), ce n'est pas pour faire semblant», a renchéri le vice-président du RN Sébastien Chenu en évoquant d'autres «lignes rouges» comme le refus de livrer à Kiev des armes à longue portée.
Le RN, qui a longtemps entretenu des liens de proximité avec Moscou, soutient officiellement l'Ukraine mais sa politique s'il accède au pouvoir suscite de fortes inquiétudes en Europe.
A Kiev, le président ukrainien Volodymyr Zelensky s'est voulu optimiste. «Nous croyons que les Français continueront à soutenir l'Ukraine quelle que soit la situation politique», a-t-il déclaré dans un commentaire exclusif à l'AFP.
«Nous sommes convaincus que le prochain gouvernement sera indépendant de l'agresseur russe et restera attaché aux valeurs européennes et à une Europe forte et unie, l'Europe même que l'Ukraine défend contre la tyrannie russe», a-t-il ajouté.
Blocage institutionnel
Lors des trois précédentes cohabitations politiques en France, le président avait conservé de larges pouvoirs en matière de politique internationale et de défense, en vertu de ce «domaine réservé».
Pour l'instant, l'extrême droite est donnée largement en tête du premier tour dimanche, avec 36% des intentions de vote, selon une enquête Ipsos-Fondation Jean-Jaurès-Cevipof-Institut Montaigne pour le Monde portant sur près de 12'000 personnes.
Selon cette vaste étude, qui ne propose pas de projections en sièges, la gauche rassemblerait 29% des voix, le camp du président Macron 19,5% et Les Républicains (droite traditionnelle) 8%.
Mais les 577 élections, dans chaque circonscription, recèlent de nombreuses inconnues, les équations étant par ailleurs appelées à être profondément bouleversées entre les deux tours selon les maintiens, désistements voire consignes de votes.
Une majorité seulement relative ouvrirait par ailleurs la perspective d'un éventuel blocage institutionnel, renforcée par le refus du leader d'extrême droite Jordan Bardella de constituer un gouvernement s'il ne dispose pas d'une majorité absolue.
Nouveau débat à trois
Faire barrage à l'extrême droite aux portes du pouvoir ou refuser de choisir? Le camp présidentiel, qui depuis le début de la campagne a renvoyé dos à dos l'extrême droite et la gauche radicale de la France Insoumise (LFI, membre de l'alliance de gauche), n'a pas encore pris position. Mais il pourrait s'orienter vers le mot d'ordre «ni RN, ni LFI».
A gauche, le dirigeant de LFI Jean-Luc Mélenchon, figure repoussoir pour les électeurs centristes mais aussi au sein de l'alliance du Nouveau Front populaire, a déclaré mercredi soir qu'il demanderait à ses électeurs de ne pas voter RN au second tour, là où les candidats de gauche ne seront plus présents.
D'ici là, les représentants des trois blocs sont attendus jeudi soir à la télévision pour un ultime débat, 24 heures avant la fin de la campagne officielle fixée vendredi à minuit.
Jordan Bardella pour le RN et le Premier ministre Gabriel Attal croiseront le fer. La gauche sera représentée par le patron du Parti socialiste, Olivier Faure.