Sri Lanka L'interdiction sur les biens «non essentiels» passe mal

ATS

15.2.2021 - 08:41

Plus de curcuma pour le curry, plus de pneus, pénurie de carrelages: le Sri Lanka a interdit en mars dernier l'importation de produits «non essentiels» pour économiser ses devises, au grand dam de sa population mais aussi de l'UE. Cette dernière menace de porter le dossier devant l'OMC.

la population vit de plus en plus mal d'être privée de curcuma, son épice favorite, qui donne sa couleur jaune ocre caractéristique aux plats à base de curry.
la population vit de plus en plus mal d'être privée de curcuma, son épice favorite, qui donne sa couleur jaune ocre caractéristique aux plats à base de curry.
KEYSTONE

Sur cette île de l'océan Indien, la population vit de plus en plus mal d'être privée de curcuma, son épice favorite aux multiples vertus médicinales, qui donne sa couleur jaune ocre caractéristique aux plats à base de curry.

La racine aromatique a rejoint les produits «non essentiels» frappés d'interdiction. Depuis lors, elle voit son prix flamber. Multiplié par vingt ces derniers mois, un kilogramme de curcuma vaut actuellement 9000 roupies (41,3 francs). Le marché noir est florissant.

Les douanes en ont récemment saisi 25 tonnes, importées clandestinement d'Inde dans des conteneurs chargés soi-disant d'"oignons».

Dette colossale

Depuis mars, de nombreux chargements de contrebande ont été découverts à bord de bateaux de pêche indiens, alors que la demande de curcuma devenait de plus en plus aiguë, les Sri Lankais cherchant à renforcer leurs défenses immunitaires dans l'espoir d'échapper au Covid-19.

«Nous n'avions jamais pensé que le curcuma pourrait devenir problématique. Nous le tenions pour acquis», confie Prathana Weerasinghe, employée du secteur de la santé. Le pays de 21 millions d'habitants consomme environ 7500 tonnes de curcuma par an, mais ne produit localement qu'un cinquième de ses besoins.

Outre le curcuma, le premier ministre Mahinda Rajapaksa a interdit l'importation des outils, pneus, véhicules et tous les appareils électriques. Le Sri Lanka, dont l'industrie du tourisme s'est effondrée subissant les répercussions du Covid-19, peine déjà à honorer le service de sa dette colossale de 4,5 milliards de dollars.

Ses importations ont chuté de 20% sur les onze premiers mois de 2020, soit une économie de 14,5 milliards de dollars, mais, en parallèle, le pays accuse un recul record de 3,9% de son PIB.

Mise en garde de l'UE

L'interdiction, qui devait durer trois mois, est reconduite jusqu'à la fin 2021 au moins, mais les partenaires commerciaux de l'île menacent de représailles, à l'instar de l'Union européenne, deuxième plus gros exportateur au Sri Lanka, qui l'accuse de violer les règles de l'Organisation mondiale du commerce (OMC).

La mission diplomatique de l'UE à Colombo a fait récemment part de «graves inquiétudes», menaçant le Sri Lanka de porter le dossier devant l'OMC.

Ces restrictions ont permis au Sri Lanka de surmonter la sévère pénurie de devises étrangères dont souffre le pays et de stabiliser la valeur de la roupie, frappée l'an dernier par l'assèchement des réserves de devises. Le gouverneur de la banque centrale a prévenu que le contrôle des changes pourrait encore s'accentuer.

Cependant, selon l'analyste économique W. A. Wijewardena, l'interdiction pourrait handicaper la croissance, générer de la corruption et devenir surtout préjudiciable aux populations les plus vulnérables.

«L'interdiction est arbitraire, parce que la sélection de biens à interdire est conduite par des bureaucrates, draconienne, parce qu'elle va à l'encontre du libre arbitre de la population et anti-pauvres, parce que ce sont eux qui subissent le manque», explique-t-il à l'AFP.

Émergence de marchés noirs

Les autorités exigent désormais que toutes les banques commerciales vendent 10% de leurs rentrées en devises étrangères à la banque centrale, à court de devises fortes. «Il n'est pas souhaitable que l'interdiction dure longtemps», estime M. Wijewardena. «Tout cela signale que le gouvernement accumule les erreurs».

L'interdiction d'importer ces produits «non essentiels» favorise l'émergence de marchés noirs et affecte directement les entreprises locales, à l'instar du service de taxi de Kasun Chaminda qui a perdu son plus gros client faute de «pouvoir changer ses pneus usés».

«On ne trouve plus de pneus de marque étrangère pour les petites voitures», se plaint un concessionnaire de Colombo, «et ceux qui ont des stocks font flamber les prix».

Les banques n'ayant plus le droit de débloquer des dollars pour les importations de voitures, le marché de l'occasion et de véhicules assemblés localement, rencontre un succès fulgurant. Le prix des voitures, motos et camions d'occasion a presque doublé.

En l'absence de concurrence étrangère, le cours des actions des fabricants de carrelages et d'appareils sanitaires se sont envolés en moins de six mois à la petite bourse de Colombo, devenue l'une des places les plus performantes malgré le chaos économique.

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