Malgré des accusations de torture Le général émirati Al-Raisi élu président d'Interpol malgré des accusations de torture

ATS

25.11.2021 - 13:40

Keystone-SDA

Le général émirati Ahmed Nasser Al-Raisi, visé par plusieurs plaintes pour «torture», a été élu jeudi président d'Interpol. Une décision vivement critiquée par les défenseurs des droits humains, qui estiment qu'elle porte atteinte à la mission de l'organisation.

Le siège d'Interpol à Lyon: l'institution a élu jeudi à sa tête un président émirati accusé d'être responsable d'actes de torture dans son pays.
Le siège d'Interpol à Lyon: l'institution a élu jeudi à sa tête un président émirati accusé d'être responsable d'actes de torture dans son pays.
ATS

«M. Ahmed Nasser Al-Raisi (...) a été élu au poste de président [pour un] mandat de quatre ans», a indiqué l'organisation de coopération policière sur Twitter, alors que l'Assemblée générale d'Interpol est réunie à Istanbul depuis mardi.

Le rôle de M. Al-Raisi, élu au troisième tour du vote des Etats membres avec une majorité des deux tiers (68,9%), sera essentiellement honorifique, selon les statuts d'Interpol. Ceux-ci font du Secrétaire général – Jürgen Stock actuellement – le vrai patron de l'organisation.

Pour autant, la candidature du général émirati, dont le pays est devenu le deuxième contributeur au budget d'Interpol, avait suscité l'indignation d'ONG et d'élus européens.

«Nous sommes profondément convaincus que l'élection du général Al-Raisi (...) affecterait lourdement la capacité de l'organisation à s'acquitter efficacement de sa mission», écrivaient mi-novembre, à la présidente de la Commission européenne Ursula Von der Leyen, trois députés européens dont Marie Arena, présidente de la sous-commission des droits de l'Homme du Parlement européen.

«Actes de barbarie»

En octobre 2020, dix-neuf ONG, dont Human Rights Watch (HRW), s'inquiétaient déjà du choix possible du général émirati, «membre d'un appareil sécuritaire qui prend systématiquement pour cible l'opposition pacifique».

En parallèle, plusieurs plaintes pour «torture» contre M. Al-Raisi, qui a rejoint les rangs de la police de son pays en 1980, ont été déposées ces derniers mois en France, où siège l'organisation, et en Turquie, pays hôte de l'Assemblée générale.

L'ONG Gulf Centre for Human rights (GCHR) accuse dans l'une de ces plaintes le général émirati d'"actes de torture et de barbarie» contre l'opposant Ahmed Mansoor, détenu depuis 2017 dans une cellule de 4 m2 «sans matelas ni protection contre le froid», ni «accès à un médecin, à l'hygiène, à l'eau». Ces procédures n'ont pas abouti jusqu'ici.

«Signal aux régimes autoritaires»

L'élection du général Al-Raisi enverra «un signal aux autres régimes autoritaires», notamment qu'utiliser Interpol pour poursuivre des opposants à l'étranger «n'est pas un problème», expliquait avant l'élection à l'AFP Edward Lemon, enseignant à l'Université A&M du Texas et spécialiste des régimes autoritaires.

Un rapport britannique publié en mars a en effet conclu que les Emirats arabes unis ont détourné le système des notices rouges – les avis de recherche internationaux – pour faire pression sur des opposants. D'autres pays sont accusés d'en faire de même.

En fonction, le général Al-Raisi sera «susceptible de travailler avec des gouvernements aux vues similaires [aux siennes] pour contrecarrer les réformes allant vers une plus grande transparence d'Interpol», estime Edward Lemon.

Don de 50 millions d'euros

Dans une référence à peine voilée à M. Al-Raisi, la Tchèque Sarka Havrankova – seule autre candidate pour la présidence d'Interpol – avait appelé jeudi matin l'Assemblée générale à «envoyer un message clair à nos sociétés, qu'Interpol est une institution digne de confiance (...) Montrons au monde qu'Interpol n'est pas à vendre !», selon le texte de son discours.

Les Emirats arabes unis ont fait un don de 50 millions d'euros à Interpol en 2017 – une somme presque équivalente aux contributions des 195 pays membres (60 millions d'euros en 2020).

Les Emirats, qui ont eux-mêmes accueilli l'Assemblée générale d'Interpol en 2018 et voulaient l'accueillir à nouveau en 2020, ont aussi «donné ou prêté 10 millions d'euros en 2019, environ 7% du budget annuel d'Interpol», souligne Edward Lemon, pour qui de tels financements sont un moyen d'acheter de l'influence.

«Campagne de diffamation»

Sollicité mardi par l'AFP, l'entourage de M. Al-Raisi avait décliné toute demande d'interview. «La campagne organisée de diffamation [contre M. Al-Raisi] a été écrasée sur le rocher de la vérité», s'est félicité jeudi le conseiller du président émirati et ancien chef de la diplomatie émiratie Anwar Gargash.

«Triste jour pour les droits de l'Homme», a réagi sur Twitter Hiba Zayadin, chercheuse sur le Golfe à Human Rights Watch, déplorant l'élection du «représentant du gouvernement sans doute le plus autoritaire du Golfe» à la présidence d'Interpol.

Cette élection controversée pourrait au demeurant peser sur le maintien du siège d'Interpol à Lyon, en France: cette semaine, deux élus régionaux de poids s'en étaient inquiété dans un courrier adressé au ministre français de l'Intérieur, Gérard Darmanin.

Le président d'Interpol occupe ses fonctions à temps partiel et de façon bénévole. Il conserve ses fonctions dans son pays d'origine.