«Essayer» Le Pen ?Un électorat de gauche désabusé arbitre du second tour
ATS
22.4.2022 - 11:23
Leur coeur bat très à gauche. En 2017, au second tour de la présidentielle en France, ils avaient donné leur voix à Emmanuel Macron pour faire barrage à la dirigeante de l'extrême droite Marine Le Pen. Cinq ans plus tard, ils sont désabusés et face au même duel ils hésitent.
Keystone-SDA
22.04.2022, 11:23
ATS
Les électeurs du leader de la gauche radicale Jean-Luc Mélenchon, arrivé troisième au premier tour le 10 avril (21,95% des voix), sont plus que jamais courtisés par le président-candidat, 44 ans, ancien ministre d'un gouvernement socialiste qui se présente comme n'étant ni de droite ni de gauche.
Mais ils sortent refroidis du quinquennat.
«C'est catastrophique ce qu'il a fait»
«La dernière fois, on avait de sérieux doutes mais on se disait qu'il était quand même issu de la gauche, libérale certes, mais de la gauche», dit une consultante de 42 ans. «Là, on l'a vu à l'oeuvre, il est clairement de droite.»
Après le choc du 21 avril 2002 et la qualification surprise de l'extrême droite pour la première fois au second tour d'une présidentielle, la tradition s'est établie en France d'un «front républicain» des grands partis de droite et de gauche pour empêcher les nationalistes d'arriver au pouvoir.
Mais les choses ont changé. En 2017, la consultante a eu le sentiment de faire son devoir en glissant un bulletin Macron dans l'urne. Aujourd'hui, elle n'est pas sûre de le faire.
«C'est catastrophique ce qu'il a fait, les pauvres se sont appauvris, les riches se sont enrichis», dit-elle. «Si à la toute fin on nous dit que (Marine Le Pen) peut passer on ira voter Macron mais mon coeur souffrira.»
7,7 millions de voix !
Les électeurs de Jean-Luc Mélenchon représentent quelque 7,7 millions de voix, sans compter les 3,5 millions données aux écologistes, aux socialistes, aux communistes et autres petits partis d'extrême gauche.
Même si les sondages donnent une confortable avance à M. Macron, leur vote dimanche sera crucial.
Une enquête réalisée cette semaine par Ipsos-Sopra Steria indique qu'environ un tiers des électeurs de M. Mélenchon voteront pour M. Macron. Mais qu'environ la moitié ne savent pas encore ce qu'ils feront.
54% contre 46%
Si l'abstention ou les votes pour Marine Le Pen sont finalement plus importants que prévu par les sondages, la bataille sera plus serrée entre le président-candidat et la dirigeante du Rassemblement national, qui selon les dernières enquêtes recueillent respectivement en moyenne 54% et 46% des intentions de vote.
«L'électorat de gauche a l'issue du second tour entre ses mains», a estimé le politologue Jérôme Fourquet.
Les entretiens menés par des journalistes de l'AFP dans les terres de la France insoumise ces derniers jours ont révélé un sentiment d'indécision et de désillusion. Ils ont aussi montré une aversion à l'encontre du président.
«Je suis opposée en tout à Emmanuel Macron», explique ainsi cette responsable du mouvement de gauche «Nantes en commun». «Il n'est pas un rempart à l'extrême droite, il a un exercice du pouvoir très autoritaire et un réel un mépris pour les gens.»
Pour autant, poursuit-elle, «Marine Le Pen n'est pas une alternative, je vais me salir les mains et voter pour lui».
«Président des riches»
Ses propos font écho aux griefs émis par les électeurs de la gauche radicale contre le président sortant, un ancien banquier d'affaires chez Rothschild propulsé au pouvoir à 39 ans et qui ne s'était jamais présenté à une élection auparavant.
Sa première année au pouvoir a laissé des traces, quand il a baissé les aides au logement ou supprimé l'impôt sur la fortune, ce qui lui a valu d'être qualifié de «président des riches».
Ses petites phrases, comme lorsqu'il lance à un jardinier au chômage qu'il n'aurait qu'à «traverser la rue» pour trouver du travail, ont toujours un goût amer.
«Il a été très condescendant. Je comprends qu'il y ait des gens qui n'arrivent pas à voter pour lui», dit en sirotant un café sur la place centrale de Foix (sud-ouest) une travailleuse sociale de 36 ans.
Dans son département de l'Ariège, où le chômage tourne autour de 9% et où la pauvreté frôlait les 18% en 2019, M. Mélenchon est arrivé en tête au premier tour. «Ici, si vous traversez la rue, vous ne trouvez pas d'emploi», lâche ce vendeur de 36 ans.
La réputation d'élitisme colle toujours à la peau du président, même si depuis il a baissé les impôts pour tous et surtout, délaissant ses habits de libéral, opté au plus fort de la crise sanitaire pour des aides sociales et économiques massives qui ont fait bondir le déficit mais permis de maintenir à flot entreprises et salariés.
«L'économie passe toujours avant l'écologie»
Même la baisse du chômage à son taux le plus bas depuis 15 ans ne lui gagne que peu de reconnaissance à gauche.
«J'en ai marre que l'économie passe toujours avant l'écologie», dit par exemple cet étudiant en médecine à Nantes.
D'autres ont en tête les méthodes brutales employées par certains membres des forces de l'ordre lors de la révolte des «Gilets jaunes», mouvement de contestation sociale qui a gravement ébranlé le quinquennat en 2018 et 2019 avant de s'étioler.
«Je vais voter blanc parce que j'ai vécu cinq ans sous un gouvernement autoritaire», déclare à Foix une fonctionnaire à la retraite.
M. Mélenchon a demandé à ses partisans de ne pas donner «une seule voix à Mme Le Pen». Mais, il n'a pas appelé à soutenir Emmanuel Macron.
«Essayer» Le Pen
Le 10 avril, des jeunes, des écologistes, des fonctionnaires ou travailleurs syndiqués ont massivement voté pour Jean-Luc Mélenchon, 70 ans, parfois considéré comme un Bernie Sanders à la française.
Tout comme la «ceinture rouge», fief historique des communistes en banlieue parisienne. A Villetaneuse, ville pauvre du nord de la capitale à l'importante communauté musulmane, il a battu un record absolu avec 65% des suffrages.
Ils sont nombreux dans cette ville à ne pas être sûrs de voter, comme ils l'avaient fait en masse en 2017, pour M. Macron, qui propose le recul progressif de l'âge de la retraite à 65 ans et l'attribution sous conditions du Revenu de solidarité active (RSA).
Certains pensent donner leur voix à Marine Le Pen qui a fait campagne sur le thème de la défense du pouvoir d'achat et de la retraite à 60 ans.
Elle a promis de bannir le voile de l'espace public mais «nous savons qu'elle ne pourra pas mettre en pratique la plupart de ses propositions sur l'islam», assure ce musulman pratiquant.
«Comme un plat dont tout le monde dit qu'il est mauvais»
Depuis plus d'une décennie Marine Le Pen lisse son discours pour déconstruire ce que son père Jean-Marie Le Pen, fondateur du Front national rebaptisé depuis, avait bâti à coup de harangues antisémites ou racistes, parfois condamnées en justice. Mais sur le fond «la priorité nationale» privera les étrangers de plusieurs prestations et son programme sur l'immigration n'a pas changé.
«C'est comme un plat dont tout le monde dit qu'il est mauvais mais que j'ai envie d'essayer», dit ce citoyen musulman.