Par tirage au sort Vers la réintroduction du service militaire obligatoire en Allemagne?

Basile Mermoud

18.10.2025

Faut-il établir un tirage au sort si l'armée allemande ne recrute pas assez de volontaires? La question divise la coalition au pouvoir à Berlin et alarme les jeunes dans un pays inquiet de la menace russe.

De nombreux Allemands, en particulier les hommes d'environ 18 ans et leurs parents, ont suivi le débat avec une inquiétude croissante (archive). 
De nombreux Allemands, en particulier les hommes d'environ 18 ans et leurs parents, ont suivi le débat avec une inquiétude croissante (archive). 
KEYSTONE

Agence France-Presse

Face aux doutes croissants quant à l'engagement militaire des Etats-Unis de Donald Trump sur le continent européen et aux menaces que fait peser la Russie de Vladimir Poutine, le chancelier Friedrich Merz a promis de doter son pays de «l'armée conventionnelle la plus puissante d'Europe».

Or, au sein du gouvernement allemand, les conservateurs de M. Merz et les sociaux-démocrates - la famille politique du ministre de la Défense, Boris Pistorius -, ne s'accordent pas sur la façon d'y parvenir.

Jusqu'à présent, l'armée allemande, la Bundeswehr, a misé sur une campagne de recrutement volontaire, soutenue par une offensive médiatique sur les réseaux sociaux destinée à redorer son image dans un pays profondément pacifiste après les horreurs nazies.

Mais, craignant de ne pas mobiliser suffisamment de jeunes gens, les conservateurs insistent pour que l'option plus coercitive d'un «tirage au sort» soit incluse dans la législation actuellement en cours d'élaboration au Parlement.

«Tirer à la courte paille»

Une idée rejetée par Boris Pistorius, qui a refusé de valider un accord en ce sens obtenu mardi entre les députés sociaux-démocrates et conservateurs. Son veto a provoqué l'indignation du vice-président du groupe parlementaire des conservateurs, Norbert Röttgen, qui l'a accusé de «torpiller de front une procédure législative importante».

Dans un entretien avec le journal dominical Frankfurter Allgemeine Sonntagszeitung à paraître dimanche, M. Merz s'est à son tour immiscé dans le débat, affirmant avoir de «la sympathie» pour la solution refusée par M. Pistorius.

Néanmoins, d'autres en Allemagne que le ministre de la Défense expriment leurs doutes sur un éventuel caractère obligatoire de la conscription abandonnée en 2011. Un tirage au sort suggère que l'"on tire à la courte paille", a lancé Patrick Sensburg, qui dirige l'Association des réservistes de la Bundeswehr, dans des commentaires adressés au média Politico.

De nombreux Allemands, en particulier les hommes d'environ 18 ans et leurs parents, ont suivi le débat avec une inquiétude croissante. «C'est comme jouer à la loterie, tout dépend si vous avez de la chance ou non», a déclaré à l'AFP Stefan Brunnecke, un directeur d'école père de deux garçons.

Vieillissement de la population

Leonhardt Roitsche, un étudiant de 21 ans, ne cachait pas non plus son scepticisme. «Je comprends que nous ayons besoin d'une armée compétente» mais «je ne pense pas qu'une année de service militaire pour les jeunes de 18 ans soit nécessairement la bonne solution», a-t-il dit à l'AFP.

Actuellement, les effectifs de la Bundeswehr tournent autour de 180.000 personnes - auxquelles il convient d'ajouter 49.000 réservistes. Avec la nouvelle loi, qui devrait entrer en vigueur début 2026, l'Allemagne compte avoir en 2035 une armée de 460.000 soldates et soldats, 260.000 d'active et 200.000 réservistes.

Interrogé par l'AFP, Rafael Loss, un expert du centre de réflexion European Council on Foreign Relations (ECFR), souligne le côté prématuré, selon lui, du débat. «La mise en place des infrastructures nécessaires à la sélection et à la formation des recrues prendra des années», relève-t-il, considérant que «précipiter les choses pourrait réduire la capacité de combat à court terme».

Depuis la fin en 2011 du service militaire obligatoire, l'armée allemande est devenue beaucoup plus petite. Elle s'est professionnalisée et était plutôt conçue jusqu'ici pour des déploiements rapides à l'étranger plutôt que pour des guerres d'usure.

Patrick Keller, un analyste du centre de réflexion allemand DGAP, qui se félicite de la campagne de recrutement actuelle, a néanmoins fait part à l'AFP de ses interrogations quant à son efficacité, compte tenu du vieillissement de la population allemande et du marché du travail tendu. Il a néanmoins salué le débat actuel: «Je pense qu'il est bon que nous parlions ouvertement de cette question (...) car le service obligatoire constitue toujours une atteinte massive à la liberté individuelle.»