Peinture Première rétrospective consacrée à la peintre du «Bonheur suisse»

bu, ats

7.9.2023 - 10:01

Presque dix ans après sa disparition, Emilienne Farny (1938-2014), une figure marquante de la peinture contemporaine suisse, se voit consacrer une première rétrospective. On doit cette initiative au Musée d'art de Pully (VD) et à son compagnon et historien de l'art Michel Thévoz.

Une personne observe des tableaux de la peintre Suisse Emilienne Farny "Graffiti" lors de l'exposition "Emilienne Farny. Le regard absolu" ce mardi 5 septembre 2023 au Musée d'art de Pully. 
Une personne observe des tableaux de la peintre Suisse Emilienne Farny "Graffiti" lors de l'exposition "Emilienne Farny. Le regard absolu" ce mardi 5 septembre 2023 au Musée d'art de Pully. 
Keystone

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Emilienne Farny travaillait par séries et c'est ainsi que son travail est présenté à Pully, dès vendredi et jusqu'au 3 décembre. L'exposition se termine par le film que le cinéaste Francis Reusser lui a consacré en 2015, a indiqué à Keystone-ATS l'un des deux commissaires de l'exposition, Laurent Langer, conservateur du Musée d'art de Pully.

Emilienne Farny a été «l'une des premières représentantes du pop art en Suisse», souligne Michel Thévoz. L'urbain est la grande thématique de la peintre d'origine neuchâteloise. Même si elle s'est ensuite intéressée aux figures humaines, elle y revient au cours de de sa carrière par les graffitis ou le mobilier urbain.

Des villas et des thuyas

Une des premières séries qui a fait connaître Emilienne Farny, intitulée «Bonheur suisse», «porte en elle une dimension très critique», selon Laurent Langer. On y voit des villas, cachées derrière des haies de thuyas tirées au cordeau. Peintes avec des aplats de couleur, ces images évoquent le «vide, la richesse, le luxe, la province».

Dans un prochain travail, «Seuls», les personnages sont toujours peints de dos, le visage voilé ou le regard détourné. Et quand elle dessine des portraits, ses personnages portent des lunettes de soleil.

Cinéma américain et roman noir

Comme dans «Paysages après meurtre», elle introduit une dimension cinématographique. «Fan de cinéma américain et du roman noir, elle laisse planer quelque chose de dramatique dans ces deux séries, mais qui ne se déclare pas», poursuit Michel Thévoz.

Autre mise à distance: dans «Vernissages», elle montre le décalage entre l'oeuvre, qui remet en question l'ordre établi, et le public, souvent issu de l'"establishment», qui la «consomme». Détail: dans l'un des tableaux, elle reproduit un Basquiat, mais elle choisit des couleurs très différentes de l'oeuvre originale, note le commissaire de l'exposition.

Elle s'intéresse aussi aux graffitis, des oeuvres clandestines, illicites, au coeur des villes, dont la plupart ont certainement disparu des murs lausannois. Un clin d'oeil à leur orientation politique: la gauche des bourgeois bohèmes.

Des nus masculins

Emilienne Farny, dans une série appelée «Les garçons», produit quelques nus masculins, «ce qui est extrêmement rare en histoire de l'art», selon Laurent Langer. Dans une esthétique à la Mappelthorpe, elle dessine également au crayon gris des hommes en jeans, torse nu et blouson de cuir.

Emilienne Farny a vécu à Paris dans les années 60 avant de rentrer en Suisse. Où elle parcourt la campagne sur son vélomoteur et s'arrête pour prendre des polaroïds. «Je ne fais que peindre ce que je vois. Le monde d'aujourd'hui dans sa plus parfaite banalité, ni plus beau ni plus noir qu'il n'est. Plutôt que sa froideur, je préfère parler de distance», écrit la peintre dans un extrait de texte mis en exergue dans l'exposition à Pully.

Une association de malfaiteurs

L'écrivain Roland Jacccard parlait du duo formé de Michel Thévoz, 87 ans, et d'Emilienne Farny «non pas comme d'un couple, mais d'une association de malfaiteurs». «Ce qui est plutôt flatteur», relève l'historien de l'art.

Michel Thévoz souhaite qu'à l'avenir l'oeuvre d'Emilienne Farny soit reconnue à sa juste valeur. A un moment où la figuration, un savoir-faire pictural, est réhabilitée. «Je pense que la peinture figurative peut nous entraîner à exercer notre regard, à réapprendre à voir» alors que la plupart d'entre nous sont engloutis par les écrans.

Michel Thévoz n'aurait-il pas voulu lui-même être artiste? «Oui j'ai été parfois un peu jaloux». Avant de rappeler qu'il a pu s'exprimer librement tout au long de sa carrière d'intellectuel et qu'il continue à jouer du jazz.

Selon lui, même s'il considère surestimer les artistes en raison de son incapacité à dessiner, «chacun devrait trouver un moyen d'expression en amateur, sans forcément prendre la pose d'artiste. Je pense que c'est une sorte d'hygiène mentale nécessaire».