Forêt boréale canadienne À la rencontre du gardien des caribous

Relax

21.11.2022 - 08:07

Même en vivant en pleine forêt boréale canadienne, il lui arrive de passer des semaines sans pouvoir les voir. Pourtant, du plus loin qu'il se souvienne, les caribous ont toujours fait partie de la vie de Jean-Luc Kanapé.

Au cœur de la forêt boréale canadienne, le gardien des caribous

Au cœur de la forêt boréale canadienne, le gardien des caribous

Emblème de la forêt boréale, le caribou, est en péril. Ces dernières décennies, il a vu son habitat se rétrécir au Québec, en raison des coupes forestières. Jean-Luc Kanapé se bat pour leur préservation.

15.11.2022

ETX Studio

Pendant des siècles, «nos ancêtres ont survécu grâce aux caribous, à sa viande, à sa peau, aux outils faits avec ses os», raconte ce membre du peuple Innu. «Aujourd'hui, c'est à notre tour de l'aider.»

Le caribou, c'est l'emblème de la forêt boréale et aussi le cœur de la culture des peuples autochtones canadiens. Mais le cervidé au large museau est «en péril», notamment en raison de la disparition de son habitat, les vieilles forêts boréales.

Au Québec, il est menacé par l'industrie forestière, cruciale dans certaines régions et qui représente 60.000 emplois.

"La forêt ne se résume pas qu'à des arbres", lâche le scientifique Louis De Grandpré (G) qui arpente les sous-bois depuis 30 ans.
"La forêt ne se résume pas qu'à des arbres", lâche le scientifique Louis De Grandpré (G) qui arpente les sous-bois depuis 30 ans.
Ed JONES / AFP

Les gouvernements «ont pour mission de protéger tous les êtres vivants de leur territoire» mais ils «ne font rien», s'emporte Jean-Luc Kanapé qui est chargé par sa communauté d'identifier et de répertorier les derniers troupeaux restants.

Autour de la cabane de ce baraqué de 47 ans aux cheveux bruns, installée non loin du fleuve Saint-Laurent à deux heures de route du premier village, les coupes forestières ont morcelé la forêt faite d'épinettes noires et de peupliers tremble.

Vu du ciel, ce sont comme les pièces d'un puzzle que l'on aurait désassemblé. Sur certaines parcelles, les arbres sont à terre en attendant d'être découpés et transportés. En majorité, ils serviront à fabriquer du papier, de la pâte de bois ou encore du bois d'œuvre.

- Prédateurs -

Les données suggèrent que les caribous, appelés rennes en Europe, ont de meilleures chances de survie lorsque leur habitat essentiel est conservé au minimum à 65%.

Mais ici, le taux de perturbation est estimé à 80%. Les coupes pour l'exploitation ont pour effet de rajeunir la forêt entrainant une modification de la flore mais aussi de la faune.

Les orignaux sont arrivés en masse et dans leur sillage leurs prédateurs, notamment les loups dont les déplacements sont facilités par les chemins construits par l'industrie forestière.

Tandis que les repousses après les coupes entraînent la prolifération de petits fruits qui, eux, attirent les ours, un autre amateur de caribous.

Quand il part sur les traces du cervidé, Jean-Luc Kanapé puise dans les connaissances ancestrales et dans les données collectées par drone. En bateau, en pick-up ou à pied, il scrute la terre à l'affut de la moindre empreinte de sabot, dont chaque automne l'arête devient tranchante pour permettre au renne canadien de briser la glace et d'atteindre le lichen qui le nourrit.

Ces dernières semaines, il traque une femelle et son petit qui ont élu domicile dans une zone en partie déboisée donc à risque pour eux.

«Comment leur faire comprendre qu'ils seraient mieux plus à l'intérieur des terres», lâche-t-il impuissant. «Elle est venue mettre bas dans un endroit qu'elle connait, c'est normal.»

Parfois, «pour donner une chance aux petits caribous de survivre pendant l'été», il lui arrive de chasser les loups.

La chute du nombre de faons rend la survie des caribous de cette région «peu probable dans les conditions actuelles», selon les biologistes du ministère québécois des Forêts.

- Croissance -

Des montagnes rocheuses de l'ouest canadien aux forêts québécoises, le caribou a vu son territoire rogné depuis 150 ans et connaît un déclin ininterrompu que rien ne semble enrayer.

Même s'il est depuis 2003 inscrit sur la liste des espèces en voie de disparition et l'un des animaux les plus étudiés d'Amérique du Nord.

La croissance canadienne repose en grande partie sur l'exploitation d'abondantes ressources naturelles (pétrole, bois, minéraux), alors le pays peine à mettre en œuvre des plans de sauvegarde viables, estiment les scientifiques.

Et tous les experts s'alarment car le caribou représente la pointe de l'iceberg: c'est une «espèce parapluie».

«Des dizaines d'espèces, qui ne suscitent pas la même attention, ont aussi besoin de vieilles forêts, un habitat naturel vital pour beaucoup», explique le biologiste Martin-Hugues Saint-Laurent de l'Université du Québec à Rimouski.

La forêt boréale canadienne abrite 85 espèces de mammifères, 130 de poissons et 300 d'oiseaux, dont beaucoup d'oiseaux migrateurs.

«La forêt ne se résume pas qu'à des arbres», lâche le scientifique Louis De Grandpré qui arpente les sous-bois depuis 30 ans. «On commence à peine à saisir l'ampleur des échanges qui se passent sous nos pieds dans les sols forestiers, où bactéries, champignons et une myriade de micro-organismes sont à l'œuvre.»

Les Innus, qui estiment faire partie de l'écosystème forestier au même titre que tous les autres êtres vivants, réclament la création d'une aire protégée.

Pour Jean-Luc Kanapé, «finalement le jour où l'humain va disparaître, la planète sera plus belle, elle va reprendre ses droits».