Cultures menacéesComment éviter la fin annoncée du chocolat et du café?
ATS
28.10.2021 - 07:46
Un monde sans chocolat ? Une pause sans café ? Des sushis sans riz ? L'hypothèse semble folle, mais les menaces pesant sur les plantes finissant dans nos assiettes sont réelles. Elles entraînent les experts dans une quête urgente des ancêtres sauvages de nos cultures préférées.
Keystone-SDA
28.10.2021, 07:46
ATS
Quand on entend «espèces menacées», on pense souvent ours polaires, pandas ou éléphants, oubliant la flore, y compris celle que nous mangeons. «Il y a des choses que l'on prend pour acquises», regrette Aaron Davis, scientifique au Kew Royal Botanic Gardens.
Et pourtant du café au cacao, des pommes de terre au thé, des bananes aux céréales, de nombreuses espèces cultivables, dont certaines sont capitales pour l'alimentation de milliards d'humains, subissent les effets de la hausse des températures, des sécheresses, des pluies intenses, de nouvelles maladies ou du déplacement d'insectes ravageurs.
Diversité génétique perdue
Selon une étude parue en mai, à cause du réchauffement de la planète, près d'un tiers des productions agricoles risquent de se retrouver en dehors des zones climatiques adaptées à leur culture.
Les rizières sont ainsi menacées par la montée du niveau de la mer qui augmente la salinité dans les deltas. Le Centre international de la pomme de terre anticipe une baisse de 32% des récoltes d'ici 2060. Quant au café et au cacao, plusieurs études projettent une baisse significative de la surface des terres adaptées d'ici 2050, jusqu'à 50% pour le café.
La faute notamment à la domestication des espèces, que l'humanité risque désormais de payer au prix fort. Depuis plus de 10'000 ans, l'humanité utilise des techniques de culture sélective pour adapter les espèces végétales à un usage agricole dans un environnement spécifique, environnement qui aujourd'hui change à grande vitesse.
«Quand vous sélectionnez 'les meilleures', vous perdez certains gènes. Nous avons perdu de la diversité génétique», explique Benjamin Kilian, de la fondation Crop Trust. Alors «la capacité de ces cultures à s'adapter, à nouveau, face au changement climatique ou d'autres défis, est limitée».
Pourtant avec le réchauffement, «nous allons avoir besoin d'utiliser toute la biodiversité possible, pour réduire les risques et offrir différentes options», insiste Marleni Ramirez, experte du consortium CGIAR sur la recherche agricole.
Quête aléatoire et chronophage
Premier obstacle, pour utiliser les caractéristiques génétiques ancestrales, comme une résistance à la salinité ou à la chaleur, il faut avoir les espèces sauvages sous la main.
Il existe bien des banques génétiques de semences, comme la Kew Millenium Seed Bank, qui collecte et stocke en Angleterre les graines de près de 40'000 espèces de plantes sauvages. «Mais toutes les espèces sauvages n'y sont pas représentées», commente Benjamin Kilian. Alors «vous avez besoin de botanistes qui vont à leur recherche», poursuit-il. Une quête aléatoire et chronophage.
Entre 2013 et 2018, Crop Trust a récolté plus de 4600 échantillons de 371 cousins sauvages de 28 cultures prioritaires (blé, riz, patates douces, bananes, pommes...).
Aaron Davis et ses collègues ont eux retrouvé une espèce sauvage de café en Sierra Leone, meilleure que le robusta et plus résistante au réchauffement que le subtil arabica. Mais «si on y était allé dix ans plus tard, elle aurait probablement été éteinte», estime-t-il. «Sur les 124 espèces connues de café, 60% sont menacées d'extinction».
Trop tard ?
Et les caféiers ne sont pas les seuls concernés. Par exemple, dans quatre pays d'Amérique centrale, berceau de nombreuses cultures, 70 espèces sauvages apparentées à des plantes cultivées majeures (avocat, maïs, courge, pomme de terre) sont menacées d'extinction, selon une récente étude.
Alors les spécialistes s'inquiètent d'arriver trop tard pour collecter les espèces sauvages elles-mêmes menacées de disparition.
Une fois qu'elles sont récoltées, la course contre la montre n'est pas terminée. Les plantes sauvages ne sont pas nécessairement adaptées à l'agriculture à grande échelle. Alors il faut réussir à créer de nouvelles variétés avant que la baisse de production annoncée des actuelles ne pose un risque à la sécurité alimentaire mondiale.
Et «cela peut prendre 10, 15, 20 ans», pour créer une nouvelle variété, jusqu'à 100 ans pour une pomme, alerte Benjamin Kilian, insistant sur le fait que ces recherches utilisent des techniques conventionnelles, sans OGM.
Devra-t-on alors apprendre à se passer de café, de chocolat, certaines denrées seront-elles réservées à quelques privilégiés ? Peut-être, notent certains experts. Et si les consommateurs peuvent s'adapter, les millions de paysans dépendant du café ou du cacao auront eux perdu leur moyen de subsistance.