Histoire Comment la monarchie de Habsbourg a été balayée il y a 100 ans

dpa

9.11.2018

Ils étaient empereurs du Saint-Empire romain, empereurs d’Autriche et rois de Hongrie. Avec la déclaration de guerre de 1914, les Habsbourg signaient la fin de leur règne - avec des répercussions qui se font sentir encore aujourd’hui.

C’est ce que l’on appelle sortir par la petite porte. Une nuit de brouillard, les Habsbourg, autrefois puissants, se faufilent hors du château de Schönbrunn à Vienne. Le 11 novembre 1918, l’empereur Charles Ier, souverain profondément pieux, inspiré par une prétendue mission divine, se fait conduire avec son épouse Zita au château d’Eckartsau, à 50 km de là.

Son garde du corps a démissionné, l’insigne des Habsbourg a été retiré des voitures, l’Empereur porte des vêtements civils et non plus des uniformes. Tout cela par crainte de la colère du peuple affamé. «Nous avions tous les larmes aux yeux», se souvient Josef Redlich, dernier ministre impérial des Finances, au moment des adieux au régent.

«Une sorte de chiffon rouge»

Quatre ans plus tôt, le pays avait déclenché la Première Guerre mondiale en déclarant la guerre à la Serbie. En 1914, l’Autriche-Hongrie était plus grande que l’Empire allemand, une grande puissance de 50 millions de citoyens et d’une douzaine de peuples. Une fois la guerre terminée, la dynastie vieille de 650 ans fait désormais partie de l’histoire ancienne, l’Empire austro-hongrois est pratiquement dissout. Un vide politique se crée, avec de nombreux conflits non résolus.

Le début de la République est également un échec. Lorsque le drapeau rouge-blanc-rouge est hissé devant le Parlement, il manque la partie centrale blanche. Quelqu’un l’a découpée. «Une sorte de chiffon rouge s’est élevée dans les airs jusqu’au sommet du mât», décrivait à l’époque le journaliste Richard Bermann, voyant là un mauvais présage pour le nouvel Etat.

Cette carte montre le développement territorial de l’Empire de Habsbourg.
Cette carte montre le développement territorial de l’Empire de Habsbourg.
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L’effondrement du gigantesque Empire - qui s’étendait du lac de Constance à l’Ukraine actuelle, à laquelle Prague appartenait, qui couvrait une grande partie des Balkans et allait jusqu’au lac de Garde – se fait sous la devise propagée par les Etats-Unis du «droit des peuples à disposer d’eux-mêmes». Des pays comme la Pologne, la Tchécoslovaquie et plus tard la Yougoslavie apparaissent. L’Italie obtient le Tyrol du Sud, la Hongrie perd une grande partie de ses territoires.

Le traumatisme du Trianon en Hongrie

L’Autriche est réduite à peau de chagrin. Les répercussions se font encore sentir dans la politique d’aujourd’hui. L’Autriche est la puissance protectrice des Tyroliens germanophones et leur tend la main dans le seul but d’énerver l’Italie. En Hongrie, les événements de l’époque sont encore exploités politiquement aujourd’hui.

En effet, les Hongrois ont vécu comme un traumatisme la destruction de leur pays par le traité de Trianon en 1920. Le dirigeant autoritaire de l’entre-deux-guerres, Miklos Horthy, a fait de la «révision», de la reconquête des «territoires perdus», une doctrine d’Etat – et a fini par s’allier avec Hitler pendant la Seconde Guerre mondiale et l’Holocauste. Pendant la période communiste (1948/49-1989), le traité de Trianon est devenu tabou – après tout, la plupart des bénéficiaires des pertes territoriales hongroises étaient désormais des «pays frères socialistes».

Lors d’une manifestation en 2009 dans les rues de Budapest, les membres de la droite hongroise portent des pancartes évoquant des lieux ayant autrefois appartenu au royaume des Habsbourg.
Lors d’une manifestation en 2009 dans les rues de Budapest, les membres de la droite hongroise portent des pancartes évoquant des lieux ayant autrefois appartenu au royaume des Habsbourg.
Bild: Balint Porneczi/AFP/Getty Images

Après le tournant démocratique, la droite hongroise a fait du traumatisme du Trianon le leitmotiv de sa mobilisation nationaliste. Le Premier ministre de droite, Viktor Orban, a déclaré le 4 juin, date anniversaire de la signature de l’accord de Trianon, «Journée de la cohésion nationale».

«Famille pour les peuples» ou «cachot pour les peuples»?

L’histoire de la chute des Habsbourg est une histoire de méprise sur fond de changement. «L’Empire de Habsbourg était un artefact politique extrêmement complexe composé de peuples et d’Etats, qui ne se seraient pas forcément trouvés spontanément, et qui avaient peu de choses en commun, en dehors du fait qu’ils étaient tous gouvernés depuis Vienne», écrit l’auteur Kersten Knipp.

Pour certains, l’Empire était une «famille pour les peuples», pour les autres, «un cachot pour les peuples». Avec son aura de juste, l’empereur François-Joseph Ier a réussi pendant des décennies à neutraliser le nationalisme naissant. Lorsque son successeur, Charles Ier, veut entendre le cri du peuple à la dernière minute, il est trop tard.

Par le biais du manifeste du 16 octobre 1918, l’Empereur lance un dramatique cri d’alarme: «Selon la volonté de ses peuples, l’Autriche doit devenir un Etat fédéral, au sein duquel chaque ethnie, à l’intérieur de son territoire, formera sa propre communauté.» Mais la proposition qui vise à sauver la Couronne dans une nouvelle alliance n’impressionne plus personne. Les jalons politiques sont posés depuis longtemps. Se méprenant complètement sur la situation du pouvoir, Charles Ier n’abdique pas, mais renonce seulement à toute participation personnelle dans les affaires du gouvernement.

L’exemple bouleversant de la dynastie des tsars russes

L’année précédente, le sort dévastateur de la famille impériale russe avait montré que gouverner sans anticipation, sans considération et sans réformes, était un modèle obsolète. Lors de la révolution de Février 1917, la monarchie s’est effondrée; la dynastie des Romanov a abdiqué après trois siècles de règne. Six mois plus tard, le révolutionnaire radical Lénine et ses bolcheviks communistes prenaient le pouvoir lors de la révolution d’Octobre.

La Russie a sombré dans une guerre civile – les Rouges contre les Blancs et les intervenants étrangers. Dans ce chaos, les bolcheviks ont assassiné le dernier tsar Nicolas II et sa famille à Ekaterinbourg en juillet 1918. La guerre civile, que les communistes ont finalement remportée, a été encore plus sanglante pour la Russie que la Première Guerre mondiale.

«Le bilan de la catastrophe humaine que la Russie a connue entre 1914 et 1921 ne peut être estimé que de façon approximative: la guerre, la terreur, les épidémies et la faim ont fait environ douze à treize millions de victimes», écrit l’historien Nikolaus Katzer.

«L’Autriche, c’est ce qu’il reste»

Comme pour la monarchie danubienne, les pays entourant l’Empire russe se sont également effondrés: la Finlande, les pays baltes et la Pologne ont acquis leur indépendance dès 1918. Dans d’autres régions, telles que l’Ukraine ou le Caucase, l’élan national a été de courte durée. Ces régions sont restées dans l’Union soviétique, qui a été fondée en 1922.

Le 10 septembre 1919, l’Autriche et les Alliés ont signé le traité de Saint-Germain, qui réglementait la dissolution de l’Autriche-Hongrie. L’Etat multi-ethnique est devenu un Etat moignon de 6,5 millions d’habitants, jugé difficilement viable par l’opinion publique de l’époque. Avec un certain cynisme, le ministre français Georges Clemenceau aurait déclaré à la naissance du petit Etat privé de ses anciens territoires: «L’Autriche, c’est ce qu’il reste».»

Cette paix sous le diktat des vainqueurs – qui de surcroît, ont interdit à l’Autriche de rejoindre l’Allemagne – est devenue un cadeau politique pour les Nazis qui s’élevèrent contre les traités. Vingt ans plus tard, sur l’ordre d’Adolf Hitler, l’Autriche fut annexée au Reich allemand.

La sensibilisation des minorités

Le «droit des peuples à disposer d’eux-mêmes» vanté par le président américain Woodrow Wilson a rapidement montré ses limites et ses travers après la guerre. Les nouvelles frontières ont créé une conscience particulièrement aiguë de là où se situent la majorité et la minorité. «Cinq millions de germanophones vivaient en Tchécoslovaquie, en Italie, en Yougoslavie, en Hongrie, en Roumanie et en Pologne», liste l’auteur Hannes Leidinger. Après la Seconde Guerre mondiale, cela a conduit à l‘expulsion et à la persécution des minorités allemandes en Europe de l’Est.

Rétrospectivement, Charles Ier reste un personnage tragique. Depuis son arrivée au pouvoir en 1916, il avait tenté de faire la paix avec les Alliés. Lorsque ses petites tractations secrètes ont été rendues publiques, l’allié allemand a été choqué et à partir de ce moment-là, Charles Ier a été encore plus marginalisé. Après son escale à Eckartsau, il a suivi la chute de l’Empire depuis son exil en Suisse avant de trouver sa dernière demeure sur l’île de Madère dans l’océan Atlantique. En proie à des difficultés financières, il n’a pas été soigné pour un rhume qui s’est transformé en pneumonie. Il est mort en 1922 à l’âge de 34 ans.

C’est sur l’île de Madère, dans l’océan Atlantique, que le dernier régent des Habsbourg a fini ses jours en exil avec sa famille.
C’est sur l’île de Madère, dans l’océan Atlantique, que le dernier régent des Habsbourg a fini ses jours en exil avec sa famille.
Getty Images

Ce dirigeant extrêmement croyant a été béatifié par le pape Jean-Paul II en 2004. Le dernier des Habsbourg à être monté sur le trône était un «chrétien, un mari, un père de famille et un souverain exemplaire».

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