Le pouvoir des revenants De puissantes marionnettes: un étrange culte funéraire royal

David Eugster

5.7.2019

La reine Elizabeth d’York en marionnette: ces reproductions jouaient un rôle majeur après la mort des souverains.
La reine Elizabeth d’York en marionnette: ces reproductions jouaient un rôle majeur après la mort des souverains.
Getty Images

Vers la fin du Moyen-Age, le rite funéraire des rois a changé: leur corps était placé dans un local en attendant d’être inhumé. Pendant un bref laps de temps, des reproductions assuraient le règne. Zoom sur un spectacle de marionnettes on ne peut plus sérieux.

La fureur des révolutionnaires français était devenue incommensurable en 1793. Dans la tempête du palais royal des Tuileries, ils ont massacré des centaines de Gardes suisses et de nombreux nobles. La destruction visait tout ce qui rappelait la monarchie: des rues et des places ont été renommées, des monuments ont été fondus et, en octobre 1793, les corps des rois ont même été sortis de leurs tombes.

Les corps des rois exhumés

Une foule s’est dirigée vers l’abbaye de Saint-Denis, à quelques kilomètres de Paris, où les rois de France étaient enterrés depuis des siècles. Les corps de 50 rois, 30 reines et plus de 60 princes ont été jetés dans une fosse commune. Certains étaient bien conservés – ils ont été exposés devant l’église en signe de moquerie et beaucoup ont même emporté des parties des corps en souvenir.

Cela est quasiment passé inaperçu auprès des profanateurs, mais beaucoup de ces corps présentaient néanmoins peu d’intérêt pour les pilleurs de tombes professionnels: ils ne portaient ni couronnes ni sceptres – depuis le XVe siècle, les rois de France étaient enterrés sans ces décorations, ce qui ne s’expliquait pas seulement par des raisons économiques.

Caricature «What makes the King?» de William Makepeace Thackeray (1840).
Caricature «What makes the King?» de William Makepeace Thackeray (1840).
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Une marionnette à la place du roi

Un des corps sans pourpre ni couronne arrachés au repos éternel était celui de François Ier. Le roi de France, qui peinait déjà à monter à cheval durant tout le printemps 1547, était affaibli par un furoncle et des calculs vésicaux – il a finalement succombé à une septicémie. Une mort peu héroïque pour un roi surnommé «François au Grand Nez» qui s’est également forgé une réputation de «roi guerrier».

Toujours est-il que sa mort revêt moins d’intérêt que ce qui lui est arrivé par la suite. Son corps a  été exposé pendant dix jours. Mais c’est alors que les choses ont pris une tournure étrange: le corps a été emporté dans une petite chambre. Et là où le défunt reposait auparavant, une statue grandeur nature créée à l’image de François Ier par celui qui était alors le peintre de la cour a été exposée. Elle avait les mains jointes, portait la couronne que François Ier avait sur la tête de son vivant et à côté d’elle se trouvait le sceptre du souverain sur un coussin de velours pendant que le corps nu de François Ier, dans un local, attendait d’être inhumé.

L’imitation était non seulement une réplique aussi exacte que possible du roi, mais elle avait aussi ses serviteurs: ces derniers lui servaient sa nourriture, le rôti et le vin étaient goûtés comme d’habitude par l’échanson et la bouche du roi en bois était essuyée après le repas. Mais pourquoi jouait-on à ce théâtre de marionnettes morbide?

Le roi ne peut pas mourir

La période de la mort de François Ier a également vu naître la phrase «Le roi est mort, vive le roi!» proclamée lors des funérailles des têtes couronnées. L’exclamation rappelle d’une part que la couronne du défunt passe à son héritier au trône.

Mais elle a encore un second sens qui prend racine dans la représentation de la monarchie en vigueur à l’époque: le roi ne peut jamais mourir, car il existe deux fois – une fois en tant que mortel et une fois en tant qu’immortel. Selon la loi de la fin du Moyen-Age, le roi était considéré comme une personne qui portait au-dessus de son corps mortel le corps éternel et immortel de la dignité royale.

Le juriste français Charles de Grassaille écrivait ainsi dix ans avant la mort du roi au long nez: «Le roi de France a deux anges gardiens, l’un pour sa personne privée, l’autre pour sa nature de dignitaire royal.» Après sa mort, les deux corps du roi se séparaient à nouveau: l’un était le corps, l’autre était représenté par sa reproduction. Pendant un court laps de temps jusqu’à ce que la succession au trône fût assurée, elle devenait plus importante que le défunt.

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