Sciences & Technique Deux expressos contre une maladie orpheline, c'est fort de café

AFP

14.6.2019 - 08:32

Prescrire du café à un enfant pour supprimer les mouvements incontrôlés dus à sa maladie orpheline, puis en confirmer l'efficacité grâce à du «déca» acheté par erreur: parfois, la médecine progresse grâce à des hasards étonnants
Prescrire du café à un enfant pour supprimer les mouvements incontrôlés dus à sa maladie orpheline, puis en confirmer l'efficacité grâce à du «déca» acheté par erreur: parfois, la médecine progresse grâce à des hasards étonnants
Source: AFP/Archives

Prescrire du café à un enfant pour supprimer les mouvements incontrôlés dus à sa maladie orpheline, puis en confirmer l'efficacité grâce à du «déca» acheté par erreur: parfois, la médecine progresse grâce à des hasards étonnants.

Cette histoire est racontée lundi par des médecins français dans la revue Annals of internal medicine.

Le patient est un enfant de 11 ans à qui on diagnostique l'an dernier une dyskinésie liée à un gène appelé ADCY5.

«C'est une maladie orpheline, on ne connaît même pas le nombre de cas tellement elle est rare, on peut parler d'une naissance sur un million mais ça n'est qu'un ordre de grandeur», explique à l'AFP l'un des médecins, le Pr Emmanuel Flamand-Roze.

Les malades sont victimes de nombreux mouvements anormaux, exacerbés lors de phases de crise. Il n'y a pour le moment aucun traitement connu pour cette maladie très invalidante.

«Les bras, les jambes et le visage se mettent à bouger de manière très importante. Cet enfant ne pouvait pas faire de vélo ni même rentrer à pied de l'école, car une crise pouvait survenir n'importe quand», poursuit le Pr Flamand-Roze, neurologue à l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière AP-HP.

Sitôt le diagnostic posé, les médecins prescrivent... du café à cet enfant. «Ça fait quelques années que nous le prescrivons, depuis que d'autres patients ont raconté que c'était très efficace contre les mouvements», selon le neurologue.

Faire boire du café à un petit garçon peut paraître incongru, mais ses parents ne sont pas choqués. Ils sont originaires de Madagascar où, selon les chercheurs, cette boisson est utilisée pour combattre certains maux.

Dans le cadre de son traitement, l'enfant boit une tasse d'expresso le matin et une autre le soir. L'effet est rapide (les mouvements incontrôlés disparaissent presque totalement) et dure sept heures.

- «Double aveugle» -

Mais après quelques semaines, les parents contactent les médecins, car le café ne fait plus effet. Les mouvements ont repris.

Au bout de quatre jours, ils réalisent leur méprise: ils ont, par erreur, acheté et donné à leur fils du café décaféiné. Sitôt l'enfant remis au café avec caféine, ses mouvements indésirables disparaissent à nouveau.

Sans le vouloir, les parents ont apporté la preuve qui manquait pour étayer scientifiquement l'efficacité du café.

En se trompant, ils ont en effet réalisé dans la vie réelle ce que les scientifiques appellent un «test en double aveugle contre placebo», qui permet de comparer l'efficacité d'un médicament à celle d'un placebo.

On parle de «double aveugle» car ni la personne qui prend le traitement ni celle qui lui administre ne sait s'il contient un principe actif ou s'il n'est qu'un placebo.

Cette histoire «fait partie des hasards un peu fabuleux de l'histoire de la médecine», sourit le Pr Flamand-Roze.

A la lumière de ce cas, les médecins impliqués conseillent la prise de caféine pour tous les patients atteints de dyskinésie liée au gène ADCY5.

«Même si on avait le cas d'un bébé diagnostiqué avec cette maladie, je lui administrerais du café», assure le neurologue, qui suit une dizaine de patients de tous âges atteints de cette affection.

L'efficacité du café s'explique par le fait que la caféine se fixe sur des récepteurs liés à la protéine ADCY5 malade. Celle-ci est très présente dans une région profonde du cerveau qui contrôle les mouvements.

«Dans cette maladie, la protéine fonctionne trop, et la caféine réduit son activité», selon le Pr Flamand-Roze.

Le café ne fait effet que pour une dyskinésie liée à ADCY5, qui n'est qu'un cas particulier de ce type de maladie.

L'équipe du Pr Flamand-Roze et de la Dr Aurélie Méneret, co-auteur de l'étude, espère désormais répliquer ces résultats sur une grande série de patients.

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